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Introduction aux concepts de male gaze et de female gaze

Benfaquin - Qwice 2024

Introduction aux concepts de male gaze et de female gaze <p style="text-align:justify;">Selon Agnès Varda, cinéaste française et féministe, les films ne sont pas des réponses mais une façon de voir quel rapport on a au monde, aux autres. L’histoire du cinéma est majoritairement masculine, en témoigne par exemple le fait que cette année, le festival de Cannes a remis pour la deuxième fois de son histoire la palme d’or à une femme, au film <em>Anatomie d’une chute</em> de Justine Triet, réalisatrice française, deux ans après la consécration du film <em>Titane </em>de Julia Ducourneau. Souvent modélisée comme le symbole du désir au cinéma, la femme, au sens identitaire, a vu sa représentation être remise en question au cours du XXe siècle, tout particulièrement par les théories féministes. Le <em>gaze </em>ou “regard”, sujet ici de notre étude, est un concept qui a émergé dans un contexte où les études de genre et de la représentation visuelle ont commencé à questionner les normes culturelles et les constructions sociales liées au genre. Ces études s’inscrivent dans une analyse de la manière avec laquelle l’art, le cinéma, les médias ou d’autres formes de représentations comme la publicité contribuent à façonner les perceptions et les constructions sociales liées au genre.</p><p style="text-align:justify;"></p><ol><li><p style="text-align:justify;"><strong>Le <em>male gaze </em>chez Laura Mulvey</strong></p><p style="text-align:justify;"></p></li></ol><p style="text-align:justify;">Laura Mulvey, cinéaste féministe britannique à l’origine du concept de <em>male gaze</em>, développe, en 1975, dans son essai <em>Visual Pleasure and Narrative Cinema</em>, donc ce concept de <em>male gaze</em> en fondant notamment ses travaux sur les théories psychanalytiques de Sigmund Freud et de Jacques Lacan. On peut également associer le concept de <em>male gaze </em>premièrement au <em>gaze </em>du critique d’art anglais John Berger qui utilise ce mot pour analyser les représentations de la femme en tant qu’objets passifs à voir - destinés à n’être que vus - dans l’art européen. D’autre part, au concept de regard que développe Sartre dans <em>L’Etre et le Neant</em> en 1943, selon lequel l’acte de regarder un autre humain crée une différence dans le rapport de pouvoir, où le regardé est perçu comme un objet.</p><p style="text-align:justify;">Le <em>male gaze </em>c’est une manière de représenter la femme, usuellement d’un point de vue masculin et hétérosexuel, et de la représenter en tant qu’objet de désir. C’est une représentation de la femme en tant que “être-pour-le-regard”. Le <em>male gaze  </em>chez Laura Mulvey est lié aux concepts de voyeurisme (regarder en tant que plaisir sexuel), de scopophilie (plaisir de regarder) et de narcissisme (plaisir de se contempler soi-même). Comme l’écrit Iris Brey dans <em>Le regard féminin </em>: “L’idée centrale de Mulvey est que la fétichisation du corps de la femme à l’écran est une manière de résoudre l’angoisse de la castration des hommes”. L’absence de pénis de la femme à l’écran implique une menace de castration et donc d’inconfort, de déplaisir, que le <em>male gaze </em>subvertit pas l’hypersexualisation de la femme. C’est une manière de représenter la femme qui intervient au détriment de la subjectivité et de l’identité des personnages féminins. Cette réduction des femmes représentées à des objets de désir ou de soumission peut intervenir de deux manières différentes : par le biais de la narration démystifiant la femme, ou par le biais de la caméra sexualisant la femme.</p><p style="text-align:justify;"></p><ol start="2"><li><p style="text-align:justify;"><strong>Le <em>female gaze </em>chez Iris Brey</strong></p></li></ol><p style="text-align:justify;">Le <em>female gaze </em>est toujours un regard, mais un regard qui n’objectifie pas le corps féminin, qui ne le sexualise pas et qui cherche à nous faire ressentir l’expérience du corps féminin. Le <em>female gaze </em>ne se situe pas en opposition au <em>male gaze</em>, mais se propose comme une manière de représenter les femmes différemment, en mettant en valeur leur subjectivité et leur identité de femme. Le female gaze est « un regard qui nous fait ressentir l’expérience d’un corps féminin à l’écran. Ce n’est pas un regard créé par des artistes femmes, c’est un regard qui adopte le point de vue d’un personnage féminin pour épouser son expérience ». Il faut comprendre ici que le <em>gaze </em>n’est pas un concept sociologique essentialisant : un homme réalisateur peut produire du <em>female gaze</em> tout comme une femme réalisatrice peut produire du <em>male gaze </em>si elle a intégré les schéma patriarcaux de la représentation. Le male gaze est le « processus d’objectification des femmes, dans le but d’exciter celui ou celle qui les regarde ». Le genre d’un cinéaste ne conditionne pas sa manière de filmer les personnages féminins, résumer l’expression <em>female gaze</em> à un regard de femme réalisatrice est une manière d’essentialiser l’œuvre des femmes.</p><p style="text-align:justify;">Ce qui différencie l’approche de Laura Mulvey et d’Iris Brey est que cette dernière ne reprend pas les théories psychanalytiques pour fonder sa théorie mais propose plutôt une approche qu’elle veut phénoménologique et féministe. Elle veut mettre au point une phénoménologique filmique qui prend en compte la corporéité du spectateur ou de la spectatrice ainsi que la corporéité de l’image. Que permet l’approche phénoménologique ? D’abord elle permet de réfléchir sur comment le personnage de fiction féminin est traversé par une histoire, comment cette expérience vécue est mise en scène. D’autre part, elle permet également de traiter de l’expérience du spectateur car un film est une expérience dialectique où se rejoignent en un dialogue le film et la personne qui regarde le film. Ce n’est pas seulement un sujet qui voit et un objet qui est vu, c’est un échange. </p><p style="text-align:justify;">« Le female gaze peut nous aider à voir et à regarder en dehors du modèle dominant » écrit Iris Brey car c’est évidemment une théorie politique, au-delà de l’esthétique, qu’elle propose ici. Elle écrit : “Comme l’explique Laure Murat [historienne française], suite à un débat tendu entre François Bégaudeau [essayiste] et moi à propos de ce film (<em>Mektoub, My love</em> d’Abdellatif Kechiche), lors de l’émission <em>La Grande Table</em> sur France Culture, « filmer un cul est déjà en soi un parti pris esthétique et politique », et comme le rappelle le philosophe Jacques Rancière, l’esthétique et la politique sont liées.”.  L’art n’est pas seulement un domaine séparé de la vie, il est aussi un mode d’intervention dans le réel, qui propose des paradigmes du commun. L’art peut ainsi être un vecteur de contestation, de subversion, mais aussi de domination, d’aliénation. “Ce qui différencie le plus le <em>male gaze</em> du <em>female gaze</em>, c’est bien le basculement d’un regard produit par l’inconscient patriarcal vers un regard créé de manière consciente.” puisque le <em>male gaze </em>découle de l’inconscient patriarcal.<br /></p><ol start="3"><li><p style="text-align:justify;"><strong>Manifestations du <em>male gaze </em>et du <em>female gaze </em>dans l’art</strong></p></li></ol><p style="text-align:justify;">Nous avons déjà cité le film <em>Mektoub, My love</em> qu’Iris Brey a vraisemblablement détesté : “on peut se sentir captif car le film nous impose une ritournelle de plans de fesses de femmes que nous devons désirer. Comme si le cinéaste nous imposait sa libido sans notre consentement.”. Autrement, on peut citer le film <em>Basic Instinct</em> de Paul Verhoeven, qui met en scène une femme fatale et manipulatrice, dont la fameuse scène du croisement de jambes est un symbole du <em>male gaze</em>. Pour le <em>female gaze</em>, elle fait référence au <em>Portrait de la jeune fille en feu </em>(2019) de Céline Sciamma qui raconte l’histoire d’amour entre une peintre et son modèle, et qui utilise la caméra pour créer un regard féminin qui valorise la subjectivité, le désir, et la résistance des femmes.</p><p style="text-align:justify;">Bien que ces concepts soient avant tout cinématographiques, j’ai cherché à les appliquer à la peinture mais c’est plus incomplet car il n’est pas question dans la peinture de narration à proprement parler, et c’est surtout ambigu, voire ambivalent. Par exemple : <em>L’origine du monde </em>de Gustave Courbet. D’une part, ce tableau qui représente un sexe féminin sans que l’on ne voit même de visage, s’il n’est pas voyeuriste, ce tableau est au moins très scopophilique, mais d’un autre côté ce tableau n’est pas destiné à exciter le spectateur. Comme nous l’

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