Deus In Machina - Qwice

je ne lis jamais l'actualité au jour le jour ; je me réserve plutôt une heure ou deux, à un moment de la semaine, pour prendre le temps de saisir ce qu'il se passe. Sachant cela, certains,

Deus In Machina - Qwice 2025

je ne lis jamais l'actualité au jour le jour ; je me réserve plutôt une heure ou deux, à un moment de la semaine, pour prendre le temps de saisir ce qu'il se passe. Sachant cela, certains, dans mon proche entourage, me trouve irresponsable, inculte, voire trop détaché : il faut être au fait de l’actualité, jour après jours, voire heure après heure. Or, j'ai depuis longtemps l'intuition que ça n'a rien d'une approche constructive et instructive de l'actualité. <p style="text-align:justify;">L'actualité d’aujourd’hui est l'histoire de demain (sauf les faits divers), et rares sont les esprits assez visionnaires ou assez lucides pour saisir l'Histoire alors même qu'elle se présente ; la "saisir" autant dans le sens de sa compréhension que dans le sens de son emploi. Erreurs de jugements, biais, informations inaccessibles au grand public ; parfois, je lis les journaux et c'est comme si tout cela n'était pas même envisagé. À lire certains articles (et surtout leurs commentaires), c'est comme si chaque journaliste et chaque lecteur avait une place dans l’Élysée le lundi, une à la Maison Blanche le mardi, une autre au Kremlin le mercredi, une autre encore à Pékin le vendredi ; et quelques vacances au Moyen Orient le weekend. En moins de mots, je trouve que parmi ceux qui prennent la parole sur l'actualité (et surtout la géopolitique, sujet qui me tient à cœur malgré mon manque d'instruction sur ce sujet), publiquement ou non, beaucoup oublient combien nous sommes ignorants sur ce qui se passent dans les plus hautes institutions des états.</p><p style="text-align:justify;">On oublie notre ignorance, il me semble, par désir de savoir : c'est affreusement inconfortable de n'avoir aucune emprise sur le sort du monde, voire de notre pays ; alors, on se rassure peut-être en s'assurant d'au moins connaître et comprendre les mouvements du monde. Peu importe si nous n'avons pas de qualification ; c'est comme si les choses étaient évidentes, comme s'il n'y avait qu'à observer et réfléchir quelques minutes pour saisir les enjeux et conséquences de ce que le dernier article de la rubrique Internationale du Monde nous a raconté. Mais la réalité, c'est que souvent, on est loin du compte, à plus ou moins fort degré ; non pas qu'on soit bête, mais il nous manque trop d'élément. Je dis bien "nous", car j'en fais partie. Sur Internet, je me tiens ; mais mes proches le savent, j'ai toujours un petit avis sur ce qui se passe (et de temps en temps, j'ai même la solution idéale en tête !).</p><p style="text-align:justify;">Mais si ce n'était que cela ! Nous croyons tous savoir, certes, mais un autre ennui bien pire encore se mêle au traitement de l'actualité : c'est qu'il est mêlé, justement, de tout le reste. Personnellement, je n'ai jamais consulté de fil d'actualité "personnalisé", je vais directement consulter les journaux en ligne. Un jour, j'ai regardé celui d'une proche, et j'ai été marqué par le traitement totalement horizontal des algorithmes des sujets. La magie des algorithmes, ou plutôt son alchimie, met sur le même niveau l'actualité des JV, du cinéma et de YouTube à celle des conflits, des dernières lois votées au Sénat et des élections présidentielles. Après un reportage sur la guerre d'Ukraine et les morts à Gaza, on peut très bien lire un compte-rendu du dernier Mario ; et à ça, je n'ai jamais réussi à m'y faire.</p><p style="text-align:justify;">Je n'ai jamais réussi à me faire à cette horizontalité extrême avec laquelle l'actualité peut être traitée. Ce ne sont pas que les médias numériques qui sont concernés : je me souviens encore que, lorsqu'au collège, quand je n'avais pas encore de smartphone, je devais regarder le journal du 20h le vendredi soir, j'étais choqué par la rapidité et la superficialité avec laquelle était abordée des sujets de la plus grande gravité (notamment les guerres). Le journal de TF1 expédiait en quinze secondes la guerre au Moyen-Orient, mais passait cinq minutes pour expliquer que les élèves du collège finissent plus tôt leur année scolaire. Cette anecdote est véridique, d'autant plus risible qu'elle est banale. Dans le monde de l'hyper-communication de nos sociétés occidentales post-industrielles, toute information se vaut ; il ne faut pas produire de l'instruction mais du contenu. il faut alimenter en permanence BFMTV, quoi qu'il en coûte ; et le coût en est l'intelligence globale du spectateur. Si j'ai arrêté de regarder la TV, c'est parce que j'en avais assez de me sentir ignorant des images qui se déroulaient sous mes yeux. Là-dessus, il est incontestable qu'Internet offre des possibilité bien plus efficaces, instructives, et même émancipatrice, que les médias de masse traditionnels.</p><p style="text-align:justify;"></p><p style="text-align:justify;">Pour TF1, tout se vaut à l'écran. Les morts à Gaza sont un divertissement, tout à fait interchangeable avec n'importe quel autre sujet. Ils capitalisent sur l'actualité car ça marche ; on veut tous savoir ce qui se passe. La vraie ressource, c'est le PDG qui le disait, c'est votre temps de cerveau disponible.</p><p style="text-align:justify;"></p><p style="text-align:justify;">Pour arrêter d'être un réceptacle à stimuli, pour arrêter d'être une machine à produire des informations personnelles, il faut, j'en suis convaincu, sortir de la boucle éternelle de l'information en continu. Le journal d'aujourd'hui est déjà périmé, de toute façon ; comme le yaourt dans mon frigo. La guerre d'Ukraine mérite d'être autre chose que le yaourt dans mon frigo.</p><p style="text-align:justify;"></p><p style="text-align:left;">J'aimerais citer (ou plutôt, copier-coller) un article du Monde Diplomatique, qui résume avec une bien meilleure expertise et une bien meilleure plume cette légèreté du traitement de l"actualité : <br />"Scroller. Faire défiler de courtes séquences vidéo sur son smartphone, d’abord celles liées à l’information qu’on cherche, puis d’autres connexes choisies par un algorithme, et d’autres encore sans rapport avec le sujet initial. Le pouce effleure l’écran machinalement, à l’infini. Au fil des images, la conscience d’abord en quête de réponse s’efface insensiblement au profit d’une torpeur. La pulsion scopique, ce désir incoercible de voir, colle le regard à l’écran et éteint le cerveau. Les industries numériques aimeraient transformer les usagers de l’information en une armée de somnambules titubant entre les photos de chats et des séquences de massacres. Subrepticement, elles ont imposé une profonde transformation dans l’équilibre des modes d’accès à la connaissance : rétrécissement du domaine de la lecture ; extension de celui de l’image.</p><p style="text-align:left;">Lire. Dévorer un roman, un essai, feuilleter un journal, sur papier ou sur écran : aux yeux des investisseurs de la Silicon Valley, cet exercice n’est pas seulement obsolète mais dangereux. Chronophage, consommateur d’attention et de concentration, il exprime une souveraineté personnelle tant sur le choix des titres de presse, la gestion de son emploi du temps que sur la capacité d’« être à soi », ouvert à l’imagination, à la rêverie, au pas de côté. « Lire ? — Regardez plutôt les images », rétorquent les nouveaux marchands de temps de cerveau disponible."<br />(https://www.monde-diplomatique.fr/2023/11/BREVILLE/66269)</p><p style="text-align:left;"></p><p style="text-align:left;"></p>

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