Voici un message de Camille Chapuis (juriste en droit public) en réponse à un tweet qui mettait en avant l'origine chrétienne de la France. J’entends souvent cette évocation enthousiaste de Clovis, de Jeanne d’Arc, de Bouvines, de Saint Louis ou de Henri IV, comme les fondements de « la vraie France ». Et je comprends l’attachement qu’on peut avoir à ces grandes figures, à ces moments de gloire ou de combat, à cette histoire façonnée de mémoire collective. Mais il me semble qu’on gagnerait à adopter une vision plus ample, plus enracinée encore, qui ne commence pas avec le baptême de Clovis en 496, mais bien avant – dans l’histoire profonde du territoire, des peuples qui l’ont habité, des idées qui l’ont traversé.Car si l’on veut évoquer la continuité historique, ne faut-il pas aussi parler de la Gaule pré-romaine, des Celtes, des druides, des oppida qui structuraient les territoires bien avant la christianisation ? Faut-il oublier la romanisation, ses villes, ses routes, ses lois, ses langues, ses dieux ? Doit-on passer sous silence les Grecs de Massalia, présents dès le VIe siècle av. J.-C., ou encore les peuples ligures, ibères, germains, voire les Phéniciens, qui ont, à un moment ou un autre, façonné les bords de notre Méditerranée ?Dire que la France commence avec Clovis, c’est faire l’impasse sur une richesse culturelle et historique immense. Clovis n’est pas un fondateur au sens strict : il est un chef de guerre, devenu roi d’un royaume mérovingien parmi d’autres, dans un monde en recomposition après la chute de l’Empire romain. Son baptême, bien que symboliquement fort, n’est pas une naissance mais une étape. Une conversion politique avant tout, dans un contexte où s’allier à l’Église était un moyen de légitimer son pouvoir.Et quand bien même on choisirait Clovis comme point de départ, que faire alors de la diversité territoriale ? Du Sud occitan, plus tardivement intégré à la couronne ? De la Bretagne, indépendante jusqu’au XVIe siècle ? De la Flandre, de la Lorraine, de la Savoie, du Pays basque, tous rattachés bien après ? Ce serait une erreur de croire que la France a toujours été une unité homogène. C’est justement dans cette diversité historique, linguistique, juridique, religieuse que réside sa richesse.L’histoire de France, ce n’est pas un récit unique, mais une mosaïque de récits. Clovis, certes, mais aussi les républicains de 1792, les Cathares du Languedoc, les protestants du Midi, les francs-maçons du XVIIIe siècle, les communards, les poilus, les résistants, les immigrés venus prêter main forte à l’édifice commun.Aimer l’histoire de France, c’est accepter son épaisseur, sa complexité, ses tensions. C’est ne pas se contenter d’un petit chapelet d’images d’Épinal, aussi belles soient-elles, mais embrasser l’ensemble du territoire et des héritages, de Vercingétorix à Simone Veil, de Massalia à Mayotte.