Deus In Machina - Qwice

L’œuf de l'Ange : Faut-il comprendre un film pour l'aimer ?

Deus In Machina - Qwice 2024

L’œuf de l'Ange : Faut-il comprendre un film pour l'aimer ? <p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Je décèle, sur Internet, une tendance à intellectualiser les goûts et la critique des œuvres, notamment de culture populaire : je ne compte plus les vidéos sur YouTube ou article de Senscritique se donnant pour objectif de percer les mystères d'un récit, son message, ses intentions, ses métaphores, son propos. Sortez dans la rue, demandez au premier-venu sa définition de l'art, et il y a fort à parier que sa réponse contiendra quelque chose comme "qui délivre un message, un propos". C'est un lieu commun, qui l'est devenu car s'est souvent vérifié et confirmé, notamment qu'à l'école : Voltaire a quelque chose à dire en écrivant Candide ; Picasso a quelque chose à montrer en peignant Guernica ; Hugo a quelque chose à dénoncer en écrivant Melancholia. La littérature et le cinéma sont les premiers des arts à être ainsi définis ; pourtant, plongez-vous dans la poésie et constatez que parfois, le message et le propos ne sont rien et disparaissent du jugement. Comme le disait mon professeur de philo : "Le message c'est pas l'art, c'est le SMS". </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Cette question rhétorique ne me sert qu'à introduire le film dont je voulais parler : un de mes films préférés, un de ceux que j'ai le plus vu et un de ceux que j'ai le moins compris. Peut-être y a-t-il quelque chose à en comprendre, peut-être rien. Mais ce n'est pas grave, le film dont je vais parler ici s'est adressé à mon cœur sans même tourner les yeux vers mon esprit ; ou plutôt l'a-t-il seulement percé d'un regard insondable, sans un mot. Mamoru Oshii, un cinéaste japonais connu pour ses travaux d'animation, en particulier Ghost In The Shell ou Patlabor ; c'est oublier qu'il a aussi réalisé des bizarreries comme Avalon, film de science-fiction déprimant ou, avant tout cela, une perle oubliée de beaucoup : L’œuf de l'ange, un petit film d’animation jamais sorti en salle de cinéma, mais seulement en DVD. C'est son troisième long-métrage, et le premier à être vraiment personnel. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Je l'ai découvert il y a bien longtemps déjà, grâce à la magie d'Internet ; c'était au début de ma cinéphilie, à la fin du collège, et mon amour pour les studios Ghibli m'a immanquablement mené vers l'animation japonaise. Mais en ce qui concerne la production japonaise de films, d'anime, de manga, devant l'offre pléthorique, j'ai développé un certain instinct de préservation de mon temps, que je ne perds pas à voir des œuvres sans intérêt. Pour cela, je me fie à la réputation ; on celle des fans de la première heure mais ceux qui ont de l'âge, des centres d'intérêts variés, et du recul. Et ce film avait, parmi les cinéphiles, une aura particulière ; bien que très méconnu, les rares qui en parlaient sur des forums le décrivaient tous comme une expérience unique. Et mon intuition ne me trompe jamais. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Le film ne raconte pas vraiment d'histoire, du moins celle-ci n'est pas clairement définie (désolé aux fanatiques de la structures en trois actes) ; les personnages sont visuellement identifiés mais jamais pleinement connus (leur nom même est tu) ; les dialogues sont rares, et pour la plupart sibyllins. À vrai dire, je ne saurais même pas dire si le film est chronologique. Le détour sur Wikipédia, réflexe de notre génération, ne nous en apprend guère plus ; Oshii lui-même ne sait ce que le film raconte. Une chose est certaine : il s'est largement inspirée de citation bibliques, présentes dans les dialogues. J'ai vu ce film il y a des années, et entre-temps je me suis beaucoup intéressé au christianisme et m'y suis même converti ; et il résiste à mon esprit. Il s'accroche à mes sentiments sans jamais se laisser saisir par ma raison. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Il est temps d'en parler, du film ; et en écrivant ces lignes je me rends compte à quel point il est abrupt à résumer. Mais si je ne peux le résumer, je peux le décrire. Il s'ouvre sur une sorte de vaisseau cyclopéen, de forme globulaire, couvert de statues et de machineries grotesques, atterrissant sur une terre couverte d'appareils, de machines sophistiquées et déjà si anciennes qu'elles ne sont que débris. Sur un sol en damier noir et mauve, un homme au cheveux blanc et teint basané, les mains bandées et tenant une croix métallique contemple ce spectacle, impassible, malgré les assourdissants sifflets de ce vaisseau. Un fondu au noir introduit le deuxième personnage à son réveil : une petite fille pâle, aux long cheveux blancs, pauvrement vêtue, scrutant le ciel écarlate dominant une noire cité. Elle garde un œuf, si gros qu'elle ne peut porter que cela, et qu'elle gardera tout le film, qui alors commence et déroule son générique. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Le nom le plus important de ce générique, excepté celui d'Oshii lui-même, est Yoshitaka Amano, illustrateur de génie, connu du grand public pour avoir dessiné les jaquettes des jeux Final Fantasy : des estampes classieuses, lumineuses et épurées. Ces trois mots sont à bannir pour décrire le travail réalisé pour ce film : le film est sombre, obscur autant dans ce qu'il inspire que dans ce qu'il montre. Il n'y a ici de lumière que de faibles éclats, comme des espoirs étouffés par le silence. Épurés, les environnements traversé par la petite fille à l’œuf ne le sont assurément pas : une angoissante forêt aux branches dénudées, carcasse d'un bateau au sommet d'une colline, une cité désolée et délabrée, des souterrains interminables et oppressants... Le monde dépeint ici est moins fantastique que fantasmagorique, onirique même : mais le rêve, parfois, est aussi cauchemar. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Cette ville s'attarde longtemps à l'écran. Elle est morte, certes, mais pas vide, sale et malade mais encore en vie. À travers les fenêtres on distingue encore des objets, des meubles, des traces de vie. Les fontaines laissent encore couler de l'eau remplissant une imposante fiole de verre posée par la fillette. La ville est riche d'ornements et de sculptures, les murs sont parés du décorum classique européens et les fontaines, même les plus modestes, sont agrémentées de gravures ; symbole d'un temps prospère révolu, d'un âge d'or dont les pierres gardent la mémoire, d'une dépravation. Et dans les rues défilent alors, brisant le silence d'un son mécanique, un cortège de tanks, semblables à des crustacés montés sur chenilles. Ils s'arrêtent, en sort l'homme à la croix, qui dès lors les tanks repartis, le fuit. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Ils se retrouveront peu après, hors de la ville, dans des ruines au milieu d'une forêt. L'homme donne à la fillette son œuf, le prévenant d'en prendre soin, et continueront leur chemin ensemble. Mais à la question "Qui es-tu ?", aucune réponse de l'homme. Ils passent à nouveau par cette sordide ville : enfin, des hommes s'y agitent. Des ombres de cœlacanthe, seules, serpentent sur les murs, et les hommes tentent de les harponner. "Même s'il n'y a plus de poissons, ils tentent de les chasser", explique la fillette. La scène est surréaliste, comme une folie collective. Lorsqu'enfin, le petit groupe fuit la cité, les cloches retentissent au loin en une sinistre cacophonie. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> Ils parviennent à un souterrain, dont l'entrée est encombrée d'un squelette colossal, à demi noyé dans la terre. Au dedans du souterrain, ils continuent de vagabonder parmi les roches et les ossements de bêtes géantes, parfois incrustés dans les parois, comme fossilisés. Le chemin est partout balisé de petites fioles de verre, parmi lesquelles la fillette pose la sienne ; la route paraît alors route de pèlerin, maintes et maintes fois traversé d'hommes qui, chacun, posa sa fiole d'eau, myriade de milliers de petites traces individuelles. Maintenant vide et parsemé de squelettes, le souterrain parait comme un cimetière spirituel. Au terme de leur périple, les deux personnages arrivent devant une haute gravure, représentant un arbre. Je ne résumerais pas les dialogues, car ils sont simplement cryptiques ; néanmoins on peut y déceler nombre de référence mythologiques, que ce soit la Genèse ou le thème de l'arbre-monde. </span></p><p style="text-align:left;"><span style="color:rgb(219,222,225);"> L'homme à la croix dit ne pas savoir d'où il vient, et parle comme s'il était immensément âgé. Alors qu'il cite le récit biblique du Déluge, ses citations d'abord exactes, d'un coup, diffèrent : alors qu'il raconte le récit du lâcher de colombe, lorsque Noé vérifie que les terres réapparaissent, le personnage se demande ce qu'est devenu cette colombe qui jamais ne revint. Le récit prends alors, dans sa bouche, une tournure totalement différente du récit biblique : les hommes oublièrent la colombe, ils

Image
Animation Animation