Comment lire la Bible quand on est pas croyant ? <p style="text-align:justify;"> “La Bible est le plus répandu, le plus lu, le plus traduit, le plus commenté de tous les livres qu’a produit l’humanité”. C’est ainsi qu’Édouard Dhorme introduit sa traduction de l’Ancien Testament. Je suis en désaccord sur un léger point : si la Bible est, certes, encore dans nos sociétés modernes, le plus commenté des livres, je doute fort qu’il soit le plus lu. C’est en tout cas l’explication que je trouve au nombre considérable de fausses idées, de contre-sens et d’approximations que je lis et entends partout où il y a de la parole publique sur le sujet. Après plusieurs années à m’y pencher en détails en autodidacte complet, je me rends compte que les discours vagues voire faux à ce sujet sont légion, et même majoritaire, autant du côté des non-croyants que des religieux. C’est pourquoi j’ai décidé de prendre la plume, non simplement pour m’exprimer, mais pour tenter d’apprendre quelque chose au profane (c’est le cas de le dire). En effet, je ne m’adresse ici non pas tant aux religieux qui l’ont déjà lu et assimilé, mais bien à la moitié de la société française qui, d’après moult sondages, n’ont aucune religion : non pas pour vous convaincre de la véracité des doctrines que l’on trouve dans la Bible, mais pour vous aider à approcher le texte lui-même. Car je parie fort que, pour la plupart, si vous en avez entendu voire lu des extraits, par-ci par-là, vous ne l’avez jamais véritablement ouverte et lue, et encore moins étudiée. Pourtant, il est inévitable que vous en veniez à en parler, car ce texte a eu une telle influence sur la culture occidentale qu’il en est simplement incontournable ; qu’il soit question d’un débat, d’un sujet de société, d’histoire, de référence littéraire ou culturelle ou de simple culture générale, ce livre reviendra à un moment sur la table.</p><p style="text-align:justify;"> Mais la Bible est aussi complexe à approcher qu’elle n’a été influente. Aujourd’hui, elle n’est plus un indispensable à l’éducation, et ainsi éloignée, les tentatives d’y revenir sont parfois laborieuses tant l’habitude d’y naviguer s’est perdue. Mon approche sera principalement culturelle, historique, un peu littéraire, et non religieuse (encore une fois, rassurez-vous : pas de prosélytisme ici). Voilà pourquoi j’écris ce long texte : non pas pour vous dire quoi penser et comment l’interpréter (je n’en ai nullement l’autorité), mais pour vous montrer par où commencer et où regarder dans la Bible. Je n’ai pas l’ambition d’être un docte, mais ouvreur de porte, et de permettre une approche facilitée au livre qu’on ne présente plus et qui en a pourtant bien besoin.<br /></p><p style="text-align:justify;"><u>I Une œuvre marquée par l’histoire</u><br /></p><p style="text-align:justify;"> Qu’est-ce que la Bible ? À cette question, la réponse majoritaire est d’ores et déjà inexacte. Ce n’est pas « le » livre sacré des chrétiens ; il s’agit d’un corpus, c’est-à-dire d’un ensemble de livres. Dans le canon catholique, de loin le plus répandu il y en a en tout soixante-treize. Ils sont séparés en deux ensemble : Ancien Testament et Nouveau Testament, quarante-six d’un côté, vingt-sept de l’autre.</p><p style="text-align:justify;"> Leur date de rédaction sont très diverses : le plus ancien, l’Exode, a vraisemblablement été rédigé entre le VIII et VII siècle av JC (à la même époque que l’Iliade et l’Odyssée, pour situer) ; le plus récent est l’Évangile de Jean, écrite entre 80 et 110 ap JC. C’est-à-dire qu’il y a, entre le plus ancien et le plus récent texte de la Bible, près de huit à neuf siècles d’écart ; avec une telle information en tête, la prudence est donc de mise lorsqu’on se penche sur l’un deux. Le contexte historique est toujours essentiel pour en saisir le sens, la portée, mais aussi l’intention : chaque texte de la Bible a son histoire, son auteur, une trajectoire différente et un contexte sensiblement différent des autres. Sur plus de huit cents ans, bien des choses se sont passées, et on ne peut pas lire un code de loi écrit il y a presque trois millénaires dans une petite société précise du proche-orient antique comme on lit un texte de philosophie clairement métaphorique écrit à Alexandrie en pleine période hellénistique. L’approche idéale, du moins dans un cadre d’étude historique et culturelle de la Bible, est de lire chaque livre séparément en prenant en compte les faits historiques survenus au même moment. C’est même indispensable pour les ouvrages de l’Ancien Testament, et notamment les écrits prophétiques, qui répondaient directement aux événements, ou dirait-on aujourd’hui à l’actualité. Il faut également impérativement garder en tête que les langues elles-mêmes varient : si l’Ancien Testament est rédigé majoritairement en hébreu à l’origine, le Nouveau Testament, lui, est de langue exclusivement grecque (et non latine, il s’agit de traduction postérieure).</p><p style="text-align:justify;"> Mais la Bible n’est pas qu’un récit mythologique ; il s’agit en partie d’un récit explicitement historique. Non pas que la Genèse raconte des faits véridiques (loin de là) ; mais vous observerez qu’à mesure l’on avance dans la lecture de la Bible, les événements racontés sont de plus en plus précis, détaillés, et surtout largement avérés par l’histoire et l’archéologie. L’Ancien Testament, tout d’abord, a tété rédigé par le peuple hébreu tout au long de sa tumultueuse histoire. Si la Genèse, puis l’Exode, sont largement mythiques, à partir du livre de Josué, les faits racontés font écho à l’installation progressive du peuple hébreu en Judée, leurs combats incessants contre les peuples voisins, la mise en place d’une royauté (celle du roi Saül, puis de David, enfin de Salomon), puis la séparation du royaume d’Israël en deux entités politiques distinctes (royaume d’Israël au nord, royaume de Juda au sud) et les luttes de pouvoir entre les dirigeants successifs de ces deux royaumes. Plus tard, le peuple hébreu sera, dès 720 av JC, soumis par la guerre aux grands empire qui ont successivement assis leur domination au Proche-Orient : empire Assyrien, puis Babylonien, puis Perse, puis Grec, puis Romain (avec cependant une parenthèse d’indépendance entre les deux). À partir du Ier siècle émerge le christianisme, ainsi que les textes composants le Nouveau Testament ; toute la Méditerranée, Judée comprise, était alors aux mains de Rome, et le grec la langue dominante dans cette partie de l’empire. Si la Bible est un livre historique, ce n’en est donc pas un livre d’Histoire ; elle a été écrite par des individus divers, qui avaient une certaine place, un certain point de vue, et une culture. Leur description des événements n’a rien d’objectif, et est parfois très largement enjolivée (on peut penser au roi Salomon qui, s’il eût bien existé, n’était certainement pas aussi riche que ne le raconte la Bible). C’est alors que la lecture devient plus complexe : les textes de l’Ancien Testament surtout ne sont pas écrits hors du monde par des intellectuels qui cherchaient à convaincre des gens, mais par des religieux d’une culture minoritaires qui n’avaient que la littérature pour exister et rester elle-même ; une littérature qui, par ailleurs, s’adressait avant tout aux Hébreux eux-mêmes et personne d’autre. Il ne faut donc pas hésiter à confronter avec d’autres sources écrites, et alimenter sa lecture de livre d’histoire pour y voir clair.</p><p style="text-align:justify;"> Car si chaque texte de la Bible a son histoire propre, la Bible en tant qu’ensemble en a une aussi. Le besoin de créer un corpus, un canon officiel et définitif, ne s’est exprimé pour les juifs qu’au Ier siècle av JC (très tardivement donc), après la répression par l’empire romain de la Judée. Le judaïsme était alors en grave péril et risquait de disparaître ; la constitution d’un canon clair et défini de texte a permis de fortifier la communauté juive de l’époque. Ainsi s’est créé la Bible hébraïque, qui deviendra le Nouveau Testament. Avec l’avènement du christianisme, les textes se sont très vite multipliés : tout d’abord pour garder une trace écrite des enseignements du Christ, mais aussi pour rendre compte des entreprises d’évangélisation des différents apôtres. C’est à partir du début du III siècle que se constitue un corpus définitif pour le Nouveau Testament, et sa constitution sera plus lente car les textes bien plus nombreux et variés. Ce sont d’abord les plus anciens attestés qui seront retenus. Mais c’est depuis Concile de Rome, en 387, que l’on trouve le canon du Nouveau Testament tel que vous pouvez le trouver aujourd’hui. Depuis, en Occident, en raison de l’influence grandissante de la papauté, le canon biblique est resté le même pendant près de mille-sept-cent-ans. Par ailleurs, sur le Nouveau Testament, toutes les églises sont d’accord, qu’elles soient catholiques, orthodoxes, protestantes. Sur l’Ancien testament, on trouve des différences de canon, c’est-à-dire des livres en plus ou en moins selon les courants : l’Église orthodoxe a ainsi un canon plus long de quatre livres. Ainsi, les différents livres de la Bible existent depuis avant elle-même.<br /></p><p style="text-align:justify;"><u>II Une œuvre litté