Chapitre 1 Musique d'ambiance : https://youtu.be/-jTI16PWI8Y <p style="text-align:center;"><strong>Chapitre 1</strong></p><hr /><p style="text-align:justify;">L'arbre solitaire du jardin se défait de ses feuilles rouges, qui recouvrent peu à peu le sol et le vieux banc en bois environnants. À travers la fenêtre de la cuisine, Marianne s'arrête de nettoyer le plan de travail pour observer le paysage. L'ambiance est particulière depuis qu'elle travaille dans ce manoir. À l'approche de l'hiver, dans sa précédente maison, les rues s’animaient, et même chez les Dubois, les discussions devenaient plus vives. Ici, en revanche, elle n'entend que le silence ; seul le bruit de son balai vient parfois rompre cette quiétude lorsqu'elle doit dépoussiérer les couloirs. C’est une étrange sensation, surtout en haut d’une petite colline où tout est dégagé aux alentours. Ce sentiment d’être seule au monde lui donne étrangement l’impression qu’il y a bien longtemps qu’elle ne s’est plus senti ainsi.</p><p style="text-align:justify;">Mais elle ne trouve pas cette vie lourde ou désagréable. La simple présence de Raphaël et sa bonne humeur habituelle illuminent les lieux. Durant les heures de repas, ils se retrouvent pour parler de sujets légers comme le beau temps ou le travail accompli jusqu'à présent et, même si la jeune femme peine parfois à entretenir la conversation, Raphaël sait la porter pour eux deux, contrairement à ses anciennes collègues, avec qui les échanges étaient plus laborieux. Son supérieur est calme, bienveillant et agréable, il ne lui pose jamais de questions compliquées et passe rapidement à autre chose lorsqu’elle ne sait quoi répondre. Tout cela réussit à la mettre à l'aise et rend son travail au sein du manoir plus agréable et plaisible, même si elle ne le quittera jamais, de toute manière... et elle ignore pourquoi une telle pensée lui vient.</p><p style="text-align:justify;">Soudain, un courant d’air froid fait claquer violemment une porte derrière elle, la tirant brusquement de ses pensées. Marianne frissonne en sentant l’air lui glacer le dos et se dépêche d’aller fermer la fenêtre. Le temps s’est rafraîchi en un battement de cils ; encore la semaine dernière, elle profitait de la brise estivale en allant chercher le panier d’osier devant la porte principale et s'éventait souvent pour se rafraîchir. Aujourd’hui, ce n’est pas glacial, mais l’air est assez désagréable. Alors qu'elle est prise de nouveau dans ses réflexions, en regardant l'arbre isolé dans le jardin, trois coups contre le cadre de la porte l'arrache de ses rêveries.</p><p style="text-align:justify;">— Marianne ? fait une voix familière.</p><p style="text-align:justify;">Raphaël apparaît au seuil de la cuisine, toujours avec son sourire bienveillant. Sa subordonnée réalise qu'elle a pris du retard dans ses tâches ; normalement, elle devrait avoir terminé à cette heure-ci, et la voilà encore à traîner. Elle retourne récupérer le torchon qu’elle avait laissé de côté, bredouillant des excuses.</p><p style="text-align:justify;">— Pardonnez-moi, j'étais dans mes pensées.</p><p style="text-align:justify;">— Ne vous en inquiétez, je ne suis pas là pour vous réprimander, la rassure Raphaël, en lui faisant signe de s'arrêter. Vous pouvez laisser en suspens la cuisine, j'aimerai juste que vous alliez nettoyer le couloir du deuxième étage.</p><p style="text-align:justify;">Marianne affiche un air surpris. Le deuxième étage était un lieu défendu, Raphaël lui avait juste expliqué que c'était l'étage où dormait le maître et que ce dernier était de très mauvaise humeur ces jours-ci. Mais s'il lui demande d'aller nettoyer là-bas, c'est que le concerné ne doit probablement plus être aussi irrité maintenant.</p><p style="text-align:justify;">— Monsieur se porte mieux ? se renseigne-t-elle, pour être certaine.</p><p style="text-align:justify;">— Oui, Monsieur semble être de meilleure humeur, alors vous pouvez aller nettoyer cet étage. Il est un peu poussiéreux et aurait bien besoin de prendre quelques coups de chiffon. Soyez juste discrète, car Monsieur essaye de faire une sieste, actuellement, explique Raphaël, avec un sourire embarrassé. Vous pouvez trouver les affaires de nettoyage dans le placard.</p><p style="text-align:justify;">— D'accord, acquiesce-t-elle.</p><p style="text-align:justify;">La domestique se dirige alors vers le placard indiqué. Elle y récupère tout le matériel nécessaire, puis part remplir un seau d’eau. Son supérieur reste à ses côtés, s’assurant qu’elle n’a pas besoin d’aide, vu la quantité de choses qu’elle doit transporter. Pourtant, Marianne parvient, d’une manière ou d’une autre, à porter tout le matériel, maintenant un certain équilibre malgré l’inconfort évident. En repassant par la cuisine, accompagnée de son supérieur, ce dernier l’interpelle :</p><p style="text-align:justify;">— Auriez-vous besoin d'aide de ma part ? </p><p style="text-align:justify;">— Non, je peux me débrouiller seule.</p><p style="text-align:justify;">— Vous en êtes certaine ? Vous me paraissez encombrée.</p><p style="text-align:justify;">— Non, je vous l'assure, je réussirai à transporter tout cela. Ne vous inquiétez pas pour moi, je n'aimerai pas interrompre votre tâche.</p><p style="text-align:justify;">La réponse très sérieuse de Marianne, concentrée pour avancer sans se marcher sur les pieds, amuse son supérieur, qui n’insiste pas davantage. Il se souvient d'une époque où il agissait de la même manière et se contente de l’accompagner jusqu’en bas des escaliers. Là, il reste un moment pour s’assurer que la jeune domestique ne trébuche pas en montant les marches. Marianne les gravit avec beaucoup de précaution, veillant à ce que l’eau de son seau ne déborde pas. À plusieurs reprises, elle manque de faire tomber l’un de ses outils, mais réussit à chaque fois à le rattraper de justesse. </p><p style="text-align:justify;">Elle atteint le premier étage, où se trouvent la petite bibliothèque du manoir et la chambre de Raphaël, et pose son seau pour reprendre son souffle. Parfois, en pleine nuit, alors qu’elle essaye de se rendormir dans son dortoir, Marianne peut l’entendre étudier. Son supérieur doit certainement étudier les centaines de livres qui s'y trouvent. Curieuse, il lui arrive parfois de les feuilleter, espérant y trouver des images quand elle doit dépoussiérer les étagères. Mais malheureusement, la plupart n’en contiennent pas, ce qu'elle trouve bien dommage. Cela change de sa précédente maison qui en possédait beaucoup de ce genre. Après s’être brièvement reposée, la jeune femme reprend l’anse du seau d’une main et gravit les dernières marches avec précaution.</p><p style="text-align:justify;">Au bout de quelques minutes, elle arrive enfin au palier du deuxième étage après avoir constaté que le bois était particulièrement bruyant, signe que cette demeure n'est pas toute neuve, et il s'avère bien plus étroit que l'étage inférieur. Elle débouche sur un couloir au papier peint fleuri, qui commence à se délabrer par endroits, et deux petites fenêtres mal disposées qui éclairent faiblement les lieux. La domestique pose son seau par terre et laisse ses outils de nettoyage sur une vieille table miteuse pour inspecter l'état des lieux. Raphaël ne lui avait pas menti lorsqu'il l'avait prévenue de l'aspect poussiéreux du deuxième étage : elle manque de tousser à plusieurs reprises et, après inspection, Marianne découvre même des toiles d'araignée dont les propriétaires ont dû profiter du calme des dernières semaines pour tisser leur maison.</p><p style="text-align:justify;">La domestique prend son torchon et le plonge dans l'eau savonneuse avant de commencer à nettoyer les fenêtres. Les minutes s'écoulent, elle se débarrasse des toiles d'araignée, nettoie le parquet poussiéreux et revérifie chaque recoin pour être sûre que rien ne lui échappe. À la fin de sa séance de ménage, après des heures de nettoyage acharné, la domestique pose le chiffon sur le rebord du seau et lâche un long soupir. Son travail n'avait pas été aisé. Elle ouvre les fenêtres, non sans mal, après deux ou trois essais pour débloquer les vantaux, permettant ainsi d'aérer le couloir. Épuisée, Marianne s'adosse contre le mur et observe la porte en face d'elle, celle de la chambre où doit se reposer son maître, probablement.</p><p style="text-align:justify;">Félicien Sinclair est un homme qu'elle n'a jamais croisé depuis le début de son travail. Raphaël ne parle que très rarement de lui, mais il est vrai qu'elle ne le questionne jamais à ce sujet. Elle se souvient simplement des rumeurs de ses anciennes collègues, qui décrivaient le propriétaire de ce manoir de manière peu amène : un vieil homme défiguré par la maladie, atrophié de toutes parts, et quiconque entrait en contact avec lui risquait de souffrir le martyre, contaminé par son mal. Marianne ne prenait jamais part à leurs discussions noct