Deus In Machina - Qwice

The Act of Killing : Comment vivent les meurtrier de masse ?

Deus In Machina - Qwice 2025

The Act of Killing : Comment vivent les meurtrier de masse ? <p style="text-align:left;">Telle est la question que se posent bien des artistes qui s'essaient à la douloureuse tâche de raconter la Seconde Guerre Mondiale : Requiem pour un Massacre montre une folie collective meurtrière qui s'acharne sans raison, et qui sen va aussi vite qu'elle n'a déferlé ; L'Histoire des Trois Adolf tente, lui, de montrer un Führer acculé dans son bunker, au bord de la défaite, en proie à une tristesse presque tragique. Si la Seconde Guerre Mondiale est la période historique de référence pour cette charmante thématique qu'est le massacre de masse, c'est aussi car il fût le plus meurtrier de par chez nous, mais le XX siècle fût un siècle de sang partout dans le monde, et l'Asie en fût baigné. C'est pourquoi aujourd'hui, je vais parler d'un film qui éclaire un moment mal connu des années soixante en Occident : <em>The Act of Killing</em>, un documentaire danois réalisé en 2012 par l'états-unien Joshua Oppenheimer. <br /><br />En 1965, l'Indonésie fût renversée par un coup d'état militaire. Largement soutenu par la CIA, il a mis au pouvoir six généraux qui avaient pour projet de lutter contre le communisme : le Parti Communiste Indonésien fût dissous (il était le deuxième parti communiste mondial à l'époque), et s'ensuit une chasse aux communistes à travers le pays. Entre cinq cent mille et un million de personnes y trouveront la mort : pas que des communistes, mais aussi leurs amis, voire familles, ainsi des gens sur lesquels ne pesaient que des soupçons, et même bon nombres de religieux non-musulmans. Les auteurs des massacres n'ont jamais été inquiétés par la justice, c'est en partie pour ça que c'est peu connu chez nous, d’autant que ces événements furent peu documentés. C'est-à-dire qu'encore aujourd'hui vivent en liberté des tueurs de masse en Indonésie.<br /><br /><br />Joshua Oppenheimer est donc parti à la rencontre de ces sordides individus : c'était d'ailleurs très facile, car ils n'ont pas à se cacher de leurs actes. Ils en sont même très fiers, et sont félicités pour ce qu'ils ont fait. Le film va leur donner la parole, simplement, et sans limite : les interrogés ont le droit de raconter les événements comme ils le souhaitent.<br /><br />L'homme sur lequel le film va le plus se focaliser, c'est Anwar Kongo. Il a, à lui seul, ôté la vie à plus d'un millier de personnes. Et il a quelque chose de... décevant. Ce n'est pas un fou furieux assoiffé de sang, ni même un idéologue qui dissimulerait sa barbarie derrière un but plus haut et plus noble. Il s'agit d'un aficionados de la culture américaine, nourri d'Hollywood et d'Elvis Presley. Il porte des chapeaux de cow-boy et des costards de gangster. Il s'en revendique même : "gangster, ça veut dire "free man", homme libre !", assène-t-il pendant tout le film comme un mantra. Il aime la liberté. La liberté de vivre la vie que l'on souhaite, sans la moindre restriction de l'état ou de la religion, gangrènes socialistes qui empêche de pleinement être ce qu'il est. Difficile de croire qu'un tel plouc a autant de sang sur les mains ; et pourtant il réponds volontiers à toutes les questions qu'on lui pose. <br /><br />Les interrogés peuvent raconter les événements de la manière qu'ils le souhaitent : au début du film, ils miment les exécutions. La plupart sont par étranglement : Anwar Kongo montre le processus, on ne peut plus simple. Il suffit d'attacher un câble à un tuyau, l'enrouler autour du cou du supposé communiste, puis de tirer. Simple, rapide, économique. Des centaines y sont ainsi passé. Et un large sourire éclaire son visage quand il narre, presque avec nostalgie, l'époque où il servait son pays. Il en est fier : il le montre même à ses petits enfants ! Il n'y a pas que lui d'ailleurs ; il y a toute une petite troupe qui raconte ces exploits. Une troupe, c'est bien le mot : ils appartiennent tous au même groupe paramilitaire d'extrême droite, Pancasilva, qui déjà à l'époque sévissait, et qui réunit plus d'un million de membres. Eux aussi peuvent témoigner : ayant la pleine liberté de comment témoigner, ils rejouent les scènes, d'abord de manière théâtrale, puis cinématographique. <br /><br />Le film prends alors une autre tournure. On reconstitue une scène de destruction de village, de la manière la plus réaliste possible. Un ministre local, de l'île de Sumatra, est même invité sur les lieux ! Il s'agit pour eux de "commémorer", de garder une trace de leur histoire Mais tout ne se passe pas comme prévu : à l'image, ça ne donne rien de bien héroïque. En fait, c'est même chaotique, effrayant, glauque. L'image ne parvient pas à capter l'aide précieuse qu'ils ont apporté en leur temps au pays. "Ça risque de donner une mauvaise image du groupe, il faut faire attention !", ajoute le ministre. Certains se posent alors la question : était-ce bien ? Avaient-ils raison de faire tout cela ? Les rares à se questionner à haute voix sont vite rattrapé par le discours de leurs amis : "il n'y a pas à culpabiliser, bien sûr qu'on a bien fait !". <br /><br />Mais Anwar, lui, ça le travaille, tout ça. Il n'en dort plus. Il avoue même que ça le tourmente : parfois, la nuit, il pense à ce qu'il a vu, ce qu'il a fait. Lui qui est adulé par ses amis pour ses exploits. Et lui, quand il fait revivre tout ça devant la caméra, ça ne provoque plus le même émoi qu'au début du film : peu à peu le rictus satisfait s'efface pour un visage plus inquiet. Mais il n'a pas fini : il doit tourner une ultime scène, dans laquelle il prends le rôle de la victime. Il tourne ça avec une apparence de film de gangster, ceux qu'il apprécie tant. En larme et couvert de faux sang, feignant de souffrir des coups de planches de son tortionnaire fictif, plongé dans une atmosphère pesante et coincé dans un bureau sombre et obscurci par la fumée des cigares il endosse cette fois-ci le rôle de ceux que l'histoire a oublié, de ceux qui n'ont pas de films qui parlent d'eux. <br /><br />Cela fait, il regarde le résultat final sur son téléviseur, montre même à ses petits enfants la scène. Mais confronté à ces images de lui-même souffrant, il prends peur. Non peur pour lui, mais peur des images elles-mêmes. Il se rassure en disant que c'est n'est que fiction, mais alors, pour la première fois, le réalisateur, Joshua, prends la parole, et lui rappelle qu,'il y a 50 ans, ce n'était pas de la fiction. Alors il comprends. En se retrouvant dans la souffrance, il comprends, enfin, après des décennies, la souffrance qu'il a fait enduré aux autres. Alors il retourne là où il fût au tout début du film, là où il montra, tout fier, sa petite méthode d'exécution. C'est la nuit, il n'y a personne pour le voir pleurer sinon le réalisateur. <br /><br />Il a fallu qu'il joue le rôle de la victime pour qu'il saisisse l'ampleur de ses actes. Il a fallu tout un dispositif de jeu, de scène, de rôles, de fiction, pour faire réaliser à un tueur ce qu'il a vraiment fait, quel était le poids de ses actes. L'horreur qu'il a vu sur son téléviseur, cette détresse, cet effroi, cette douleur : l'horreur de voir un homme vivre ses derniers instants, sans autre choix que de l'accepter, il en fût responsable. Et quand, à la fin du film, Anwar tient dans ses mains vieillies le câble qui a tué des centaines d'hommes, les larmes tombent. Enfin. Après des décennies. Et ainsi se clôt le film.<br /><br />Il est admis que le cinéma, et l'art en général, permet de prévenir : prévenir les générations à venir des horreurs de nos ancêtres, des pièges et discours à éviter avant de refaire dans les mêmes erreurs qu'eux, et de replonger dans la même spirale de violence. Mais en 2012, l'art a aussi permis à un homme de prendre conscience, non du passé, mais de son propre passé : en le rejouant, il l'a vécu autrement, et l'a compris. <br /><br />L'art permet de prévenir, il permet aussi de se repentir.</p>

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