Benfaquin - Qwice

L'art est condamné à être libre (photo : Vandal-ism, hommage à Édouard Manet par l’artiste espagnol Pejac, 2014.)

Benfaquin - Qwice 2024

L'art est condamné à être libre (photo : Vandal-ism, hommage à Édouard Manet par l’artiste espagnol Pejac, 2014.) <p>« L’homme est condamné à être libre » écrit Sartre, philosophe contemporain et père de l’existentialisme français, ainsi nous en déduisons que comme tout artiste est homme, toute production ou création artistique d’un homme libre sera elle aussi nécessairement libre. </p><p>La liberté de l’artiste se répercute en quelque sorte sur son œuvre. Ce qui amène Sartre à considérer la liberté comme caractéristique de la condition humaine dans son livre <em>L’existentialisme est un humanisme</em> c’est l’opposition de deux perspectives : la perspective religieuse suppose un Dieu créateur qui porte à l’existence l’homme et le monde et Dieu, en ce sens, occupe le rôle de l’artisan qui façonne l’homme ; Dieu a l’essence de l’homme en tête et le réalise dans l’existence. D’après cette conception l’essence de l’homme précède son existence, toutefois, Sartre propose une perspective athée à cette question, et s’il y a un être selon lui dont l’existence précède l’essence, c’est bel et bien l’homme. C’est-à-dire que l’homme existe avant toute chose et qu’il a à créer sa nature ; l’homme se réalise par l’action, il se crée lui-même et n’est pas mu par une quelconque destinée le menant vers tel ou tel chemin. </p><p>Ainsi, ce qui caractérise la condition humaine c’est une liberté radicale, contrairement à l’objet-technique, comme le coupe-papier que prend Sartre comme exemple, dont l’essence précède l’existence et dont le nom même définit son destin. </p><p>Certes alors l’art est condamné à être libre en un sens, mais une œuvre n’est-elle pas un objet technique ? L’on peut évidemment retrouver une relation similaire entre Dieu qui façonne l’homme selon la perspective religieuse que donne Sartre et la relation entre l’inspiration de l’artiste et l’œuvre que ce dernier façonne. Seulement une œuvre d’art est une création humaine, et l’interprétation que l’on fait d’une œuvre d’art n’est pas universelle, contrairement au coupe-papier. Le coupe-papier aura une même fonction, peu importe où il se trouvera sur le globe, mais l’œuvre d’art ne répond pas aux mêmes interprétations qu’un objet technique. L’art est intimement lié aux sentiments et à l’interprétation morale à laquelle on procède à la vue d’une œuvre, mais ces sentiments et ces interprétations morales ne sont pas universelles en tout lieu et de tout temps. L’on peut dire que l’essence de l’œuvre précède son existence de par le fait que c’est l’inspiration de l’artiste qui est le premier mouvement du processus créatif et que le corps prolonge cette inspiration en une matérialité, cependant l’artiste n’est pas en capacité d’attribuer une destinée à son œuvre, ou du moins pas indéfiniment. Ludwig van Beethoven n’a pas composé le dernier mouvement de sa <em>Neuvième symphonie</em> pour qu’il devienne l’hymne de l’Union européenne, tout comme Antonio Vivaldi n’a pas composé <em>Les Quatre Saisons</em> pour qu’elles aient une fonction de sonnerie de téléphone. L’artiste possède un pouvoir limité sur la postérité de son œuvre, contrairement à Dieu qui aurait supposément le contrôle pour ainsi dire sur les hommes <em>ad vitam æternam</em>, ou contrairement au coupe-papier qui pourrait certes être remplacé par une technologie aiguisée mais qui remplirait néanmoins toujours la même fonction, à savoir couper le papier.</p><p>En revanche, il ne faut pas oublier que Sartre considère la liberté de l’homme comme une condamnation, et que comme la liberté de radicale de l’homme caractérise sa condition, cette liberté radicale s’accompagne d’une certaine responsabilité, du fait que l’homme est toujours responsable de ses actions. En d’autres termes, l’artiste qui choisit de perturber l’ordre public se doit de l’assumer, car il en est le seul responsable, et le nier c’est faire preuve de mauvaise foi selon Sartre, c’est-à-dire se concevoir comme un objet technique, c’est justifier nos actes selon une prétendue essence qui aurait déterminé notre action ou nos actions. Et malgré les penseurs qui soutiennent que tout est déterminé à l’extérieur de nous, que notre liberté et que notre libre-arbitre ne sont jamais que des illusions, que nous sommes des réceptacles passifs de notre environnement, peut-être pouvons-nous considérer que cela ne change pas grand-chose. Comme si l’on vivait dans une simulation informatique dont nous n’aurions pas conscience : le fait de ne pas le savoir ne perturbe pas notre existence, et même si c’était le cas nous ne pourrions pas le vérifier, ce qui rendrait cette croyance en une croyance irrationnelle. </p>

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