Gérald Darmanin dit qu'« il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible » comme si la Justice n'avait pas à la condamner. Aux Etats-Unis, on veut l'arrêt des poursuites à l'encontre de Donald Trump. La séparation des pouvoirs semblent être remises en cause. Et c'est l'occasion pour moi de vous parler de Charles Louis de Secondat (ou Montesquieu, pour les personnes normales) et de la « distribution des pouvoirs ». <h1 style="text-align:center;">La distribution des pouvoirs : quel intérêt pour un gouvernement ?</h1><p style="text-align:justify;">Dans l'<em>Esprit des lois</em>, Montesquieu écrit : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » (XI, 4). On aime dire que Montesquieu a inventé la séparation des pouvoirs, et que c'est selon ce que dit Montesquieu qu'aujourd'hui il importe d'avoir un pouvoir législatif, un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire indépendants, ou, pour le dire autrement, il importe que ces trois pouvoirs ne soient pas dans les mains d'une seule personne.</p><p style="text-align:justify;">En effet, dans l'Esprit des lois, précisément au livre XI, il explique qu'il est nécessaire de « distribuer » les pouvoirs, et ce afin de garantir la liberté politique. Toutefois, cette distribution (et non pas séparation) des pouvoirs ou de la puissance (puisque Montesquieu parle aussi de la puissance d'un gouvernement) n'est pas tout à fait identique à ce qu'on à tendance à se représenter. On pense souvent au pouvoir judiciaire, législatif et exécutif. Cependant, Montesquieu ne propose pas cette distribution. Il distingue le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; et dans le pouvoir exécutif, il distingue le pouvoir exécutif du droit des gens (police, armée) et le pouvoir exécutif du droit civil (fiscalité, administratif, etc.).</p><p style="text-align:justify;">Quelle différence fait Montesquieu entre le droit des gens et le droit civil ? Pour le dire très brièvement, le droit des gens règlent les rapports des citoyens entre eux et la souveraineté extérieure des États ; tandis que le droit civil s'occupe de la fiscalité, des peines. Au livre I, chapitre 3, Montesquieu écrit :</p><p style="text-align:justify;">« Considérés comme habitants d’une si grande planète, [il] est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux ; et c’est le DROIT DES GENS. Considérés comme vivants dans une société qui doit être maintenue, ils ont des lois dans le rapport qu’ont ceux qui gouvernent, avec ceux qui sont gouvernés ; et c’est le DROIT POLITIQUE. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux ; et c’est le DROIT CIVIL. » (p. 236)</p><p style="text-align:justify;">Cette première distinction préfigure bien la distribution des pouvoirs. On a le droit des gens qu'il faut exécuter ; le droit politique qui est celui dont s'occupe la puissance qui légifère ; et le droit civil qu'il faut exécuter également. La puissance exécutrice du droit des gens est donc bien la puissance militaire, celle qui permet des rapports entre les différents peuples. Ce droit des gens institue les relations entre les peuples, entre les nations, c'est lui qui demande à ce que les « diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts » (p. 236-237). Le droit civil, quant à lui, regroupe les règles des rapports des citoyens, de tous les citoyens, entre eux, ou encore les règles qui régissent les intérêts particuliers. « Le droit civil de chaque société, par lequel un citoyen peut défendre ses biens et sa vie contre tout autre citoyen » (XXVI, 1, p. 751) est une des formes de lois ou, selon la formule de Montesquieu, un des « ordres de lois » régissant les hommes, les sociétés. Le droit civil cherche la conservation de la vie et des biens des citoyens. La puissance exécutrice du droit civil semble donc être proche de ce qu'on pourrait appeler la puissance judiciaire, dans la mesure où cette puissance est une sorte d'arbitre entre les citoyens, tend à la conservation des biens et de la vie des individus.</p><hr /><h2 style="text-align:justify;"><strong>I. La liberté politique</strong></h2><p style="text-align:justify;">Mais pourquoi cette distribution des pouvoirs est-elle si importante ? C'est pour la liberté politique. La liberté politique passe par une certaine distribution des pouvoirs, et par la modération. Mais qu'est-ce donc que cette liberté politique ?</p><p style="text-align:justify;">Généralement, on dit que la liberté politique, c'est la liberté d'un peuple qui a tout le pouvoir ; souvent, c'est la liberté des démocraties, dans lesquelles les citoyens sont les souverains. Toutefois, si on lit Montesquieu, on note que pour lui, le pouvoir, ce n'est pas la liberté. En effet; en XI, III (livre XI, chapitre III), Montesquieu explique que même s'il semble qu'en démocratie le peuple fait ce qu'il veut, cela ne veut pas dire pour autant qu'il est libre politiquement. En effet, être libre, ce n'est pas nécessairement avoir le pouvoir. On peut tout à fait être libre dans une aristocratie (où seule une minorité à le pouvoir, II, II) ou dans une monarchie (où une seule personne a le pouvoir, exécute le pouvoir, et qui suppose un dépôt de lois, II, IV) pour peu que tout le pouvoir ne soit pas entre les mains d'une seule personne, de manière arbitraire. En effet, dans une monarchie, c'est parce qu'il y a un dépôt de lois, qui empêchent le prince de n'en faire qu'à sa tête, d'agir seulement selon ses désirs, en gros d'agir comme un despote (II, V), que la liberté politique est possible.</p><p style="text-align:justify;">La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Et parmi les gouvernements modérés, il y a les démocraties, les aristocraties, et les monarchies. Seules les despotismes sont des gouvernements sévères : dans ces dernières formes de gouvernement, c'est l'arbitraire qui règne, la loi, c'est la volonté d'un seul, la volonté du prince qui, « une fois connue, doit avoir aussi infailliblement son effet qu'une boule jetée contre une autre doit avoir le sien. » (III, X, p. 259-260). Instinct, obéissance, chatîments. C'est cela qui définit le régime despotique : le despote veut, le peuple doit obéir ; obéir sans jamais vraiment savoir à quelle sauce il va être mangé. Le pouvoir du despote n'est pas bornée, sauf peut-être par la religion (III, X). Dans tous les autres régimes, il est borné. Et plus la puissance est modérée, plus la liberté politique augmente. Il est donc nécessaire, pour être un gouvernement modéré, d'avoir un contre-pouvoir, des contre-pouvoirs.</p><p style="text-align:justify;">Toutefois, il existe également des États modérés sans liberté politique. Bien que la liberté politique ne soit que dans les gouvernements modérés, elle n'y est pas dans dans toute, car tout État modéré n'a pas un fort degré de liberté politique : la modération, pour Montesquieu, est quelque chose de plus transversal que la liberté politique. « Mais elle n’est pas toujours dans les États modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir ; mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites. » (XI, IV, p. 395). Pour préciser ce que dit Montesquieu ici, c'est que, d'une part, l'axe de la modération est un axe plus transversal que l'axe de la liberté politique ; d'autre part, la liberté politique suppose l'absence d'abus de pouvoir. Cette définition négative pourrait nous faire dire que si la liberté, c'est lorsque personne n'abuse du pouvoir, il faut donc que tout le monde puisse avoir accès à ce pouvoir. Pourtant, « la vertu même a besoin de limites » ; ou encore, la démocratie elle-même doit avoir des limites claires. En effet, aucun gouvernement n'échappe à la corruption (c'est une leçon que le législateur doit retirer de l'esprit des lois, c'est-à-dire que le législateur doit toujours veiller à ce que la loi est bien adaptée à la nation même). Cette corruption provient de plusieurs éléments, notamment le changement du fait que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », d'où l'importance de poser des limites. On a plusieurs exemples de Républiques qui se corrompent, et dans laquelle le pouvoir n'est plus vraiment distribuée. Montesquieu aime à prendre l'exemple de Rome, qui, à la fin de son histoire, n'est plus qu'une monarchie déguise en république (cf. <em>Les Considérations sur les causes de la grandeur et de leur décadence</em>). Mais on pourrait aussi prendre les Trente Tyrans qui régnèrent sur Athènes après la guerre du Péloponnèse.</p><p style="text-align:justify;">On comprend mieux pourquoi : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Une constitution peut être telle que personne ne sera contraint