Les kakemono sont des rouleaux suspendus présentant des calligraphies ou des peintures qui étaient originellement utilisés pour l'adoration bouddhiste, avant d'accompagner les moments de la vie quotidienne, notamment la cérémonie du thé. Ces kakemono présentés ici sont une calligraphie de Saigyô Hôshi, moine et poète du XIIe siècle, ainsi qu'un extrait du Wakan Rōeishū, un recueil majeur de poésie du XIe siècle. Les Kakemono, un art suspendu hors du tempsIntroductionLes deux œuvres exposées ici sont des rouleaux suspendus, connus sous le nom de kakemono. Ces rouleaux horizontaux, de tailles variées, présentent des calligraphies ou des peintures et sont généralement placés dans un petit espace des pièces japonaises appelé tokonoma. Le terme kakemono renvoie au kakejiku, un élément qui agit comme contrepoids pour maintenir le rouleau droit lorsqu’il est suspendu au mur. Il peut être facilement enroulé pour être rangé ou transporté.Les oeuvres exposéesLe premier kakemono exposé présente une calligraphie attribuée à Saigyô Hôshi (1118-1190), l’un des moines bouddhistes et poètes japonais les plus célèbres. Saigyô, ancien aristocrate devenu moine, avait choisi une vie d’ermite. En parcourant le Japon, il laisse derrière lui une vie empreinte de mystère, de mythes et de fiction. En plus d’être poète, il était également calligraphe. Il pratiquait notamment une technique appelée renmentai, où chaque caractère est lié au suivant sans que le pinceau ne quitte le papier. Ce style, visible sur le kakemono exposé, crée un flux continu, mettant en valeur la fluidité et la finesse des traits des caractères japonais. L’auteur du poème est Sone no Yoshitada, un poète connu pour composer des recueils mensuels, écrivant un nouveau poème chaque jour du mois. Ses œuvres incluent des rensaku, des poèmes conçus pour dialoguer entre eux. Saigyô Hôshi, quant à lui, est postérieur à Yoshitada. Ainsi, si l'attribution de la calligraphie à Saigyō est correcte, cela signifie qu’il n’était pas l’auteur du poème qu’il a calligraphié, mais seulement son interprète à travers son pinceau. Le papier de cette calligraphie, ainsi que son support, le kakemono, ne sont pas décorés. Cette sobriété met en avant l’importance du contenue et non celle du contenant. Le deuxième kakemono exposé est une calligraphie d'un extrait du Wakan Rōeishū. Ce recueil de poésie classique, combinant des poèmes japonais et chinois, a été compilé par Fujiwara no Kintô en 1013. Il était une référence majeure pour les poètes de l'époque et continue d'influencer la poésie japonaise d’aujourd'hui. Le montage de ce rouleau suspendu qui ici est décoré, date de l'époque Edo (1603-1868), soit postérieurement à la calligraphie elle-même. Cela souligne le soin apporté à la préservation de l'œuvre à l’époque, mais aussi la volonté de la mettre en avant par la décoration. En effet, à l'époque Edo, une grande attention était portée à la conservation des œuvres anciennes, notamment à travers les kakemono, qui servaient à préserver et à honorer les calligraphies et peintures du passées. Dans un contexte où les œuvres artistiques circulaient et changeaient de mains fréquemment, surtout après les guerres civiles, il était devenu nécessaire de désigner des auteurs temporaires pour des œuvres dont l’origine était incertaine. Le tegami ou album de calligraphie découpée, utilisé à l'époque Edo, illustre cette volonté d’attribution, qui a émergé à la fin de l'époque Momoyama (1573-1600). Ainsi, Le montage de ce kakemono exposé aujourd’hui, datant précisément de cette époque, témoigne de l'intérêt pour l'attribution, la reconnaissance, la conservation et la valorisation des anciens maîtres.L’origine des kakemonoOriginellement, les rouleaux étaient principalement utilisés pour la circulation des textes bouddhistes. Ces rouleaux, recopiés à la main, étaient achetés par des marchands qui les louaient ensuite aux lecteurs. Les premiers exemples remontent à la période Nara (710-794). Pour lire le texte, le lecteur devait dérouler le rouleau de droite à gauche. Fujiwara no Teika est l'homme qui a permis la préservation des waka, compilant ces poèmes japonais et recherchant les versions les plus fidèles aux originaux. Il a lancé une longue tradition de copie et de correction. L’écriture qu'il utilisait, influencée par Saigyô, était le renmentai. Par le contraste entre les traits fins et épais, il reliait les kana en fonction du sens, permettant ainsi d’éviter les erreurs de lecture et de copie. Les rouleaux suspendus, eux, étaient d'abord destinés à l'adoration bouddhiste. Puis, à l’époque Muromachi (1333-1573), les modèles de représentation et les usages du kakemono se sont diversifiés. Des peintures de fleurs, telles que des chrysanthèmes, des fleurs de lotus ou de pêcher, font leur apparition. Suivies de représentations d’animaux, tels que des reptiles, des insectes, des oiseaux et des poissons. Les kakemono étaient alors exposés pour tous les grands moments de la vie humaine. Que ce soit mariage, naissance, funérailles, changement de saison, voire l’arrivée d’un invité. Cette utilisation des œuvres tend à mettre la forme artistique en avant, attirant ainsi un public plus large. Cependant, les kakemono conserve un aspect spirituel, notamment à travers leur utilisation dans la cérémonie du théLa cérémonie du théLa cérémonie du thé est née en Chine sous la dynastie Tang et a été importée au Japon par des moines bouddhistes partis étudier en Chine à la fin du XIIe siècle. Elle était pratiquée par des érudits et des lettrés, souvent des moines, qui utilisaient des instruments et céramiques chinoises luxueuses. Cependant, sous l’influence du moine Murata Shuko, la cérémonie évolue vers plus de simplicité, d’intériorité et de spiritualité. Elle s'adresse progressivement à un public plus large, incluant militaires et marchands, et les ustensiles utilisés deviennent plus modestes. Au début du XIe siècle, Takeno Jo Ho développe la notion de Wabi, évoquant la simplicité de la campagne, la mélancolie et la solitude, et insiste sur le caractère égalitaire de la cérémonie.Les kakemono et la cérémonie du théLe Japon cultive un profond respect pour les anciens. Ce respect se manifeste dans la langue japonaise par différents termes. D’abord le Kohitsumi, qui désigne l'appréciation des anciens manuscrits et de la sagesse des maîtres d’autrefois. Mais aussi par le terme de Kohaku, qui quant à lui, signifie suivre l'esprit des anciens maîtres et adopter la conduite des philosophes du passé. La calligraphie incarne son auteur, et l'auteur s'incarne dans sa calligraphie. Aucun brouillon n'est utilisé avant l’écriture ou la peinture. La moindre hésitation se voit, permettant ainsi de deviner l’intériorité de l’artiste à travers sa manière de peindre. L'œuvre devient le miroir de l'âme de son auteur. Si l'auteur est de qualité, sa calligraphie sera digne d’être admirée. Les personnalités célèbres sont préservées par les œuvres qu’elles réalisent de leurs propres mains. En admirant leurs œuvres, on peut bénéficier de leur sagesse. C’est pourquoi des kakemono simples, sobres et choisis sont exposés pendant la cérémonie du thé dans des espaces réservés. Dans ces lieux de réunion devenue égalitaire, chacun peut alors se concentrer pour méditer sur les kakemono qui représente la sagesse des anciens. Les rouleaux exposés pendant la cérémonie du thé sont sobre et peuvent comporter des citations associées au bouddhisme, des poèmes, des descriptions de lieux célèbres. Les rouleaux peints peuvent contenir des images appropriées à la saison ou des images faisant référence au thème de la cérémonie. Ces éléments sont là pour inspirer l'introspection pendant la cérémonie, créant un lien spirituel avec l'artiste, l'œuvre exposée et les spectateurs de tous rangs.L’imprimerie et la calligraphie japonaise L'invention de l’imprimerie n’a pas mis un terme à l'attrait des Japonais pour l’écriture manuscrite. Les ouraimono, des manuels utilisés depuis l’époque Heian (794-1185) jusqu'à l’époque Meiji (1868-1912), servaient à enseigner le vocabulaire et l’écriture, mais aussi la calligraphie, car il était illustrés avec des reproduction de geste calligraphique de maître célèbres. Ces manuels ont permis de diffuser l’art de l’écriture manuscrite par l’éducation. Déjà à l’époque on pouvait deviner que même si l'imprimerie avait pris le relais de la transmission des connaissances, l’attrait pour la calligraphie lui demeurait. Ce texte que je vous partage ici est un texte de présentation écris dans le cadre d'une exposition qui aura lieux au mois de mars à Strasbourg. J'ai pour projet de réunir les textes de mes collègues ainsi que de meilleurs photo de l'exposition pour je l'espère, pouvoir à terme vous présenter une exposition virtuelle :)