Je sais qu’il est commun de se plaindre de l’impact des réseaux sociaux sur les jeunes et la société en général. J’aimerais aborder aujourd'hui un sujet en rapport avec ces problèmes d’addiction et de surconsommation de contenus sur Internet. Un sujet personnel, mais j’espère qu’il parlera à certains d’entre vous. D’un autre côté, je vous souhaite de ne pas connaître ces difficultés et le manque de confiance en soi qu’elles peuvent engendrer. <p>Seule dans ta chambre, tu te prépares. Chéri a envoyé, à dix-huit cinquante : rendez-vous chez moi dans 30 minutes.</p><p>Tu te maquilles, tu prends du plaisir à le faire, te sentir belle et bien dans ton corps, c’est tout ce qui compte pour être à l’aise avec les autres. Tu souffles un peu coup, tu es contente de sortir, ça va te faire du bien de voir d’autres gens. Ta bibliothèque te fait de l’oeil, mais tu résistes à l’idée d’embarquer un bouquin, et puis zut ça peut pas faire de mal, tu prends le deuxième tome de Millénium dans ton sac, on ne sait jamais, tu seras peut-être heureuse de l’avoir si tu dois attendre quelque part toute seule.</p><p>La voiture garée, tu entres dans la maison et claques la bise aux invités. La soirée se passe bien, on fume, on boit, on rit, et puis vient le moment que tu détestes, ce fameux moment que tu vois arriver depuis que tu es là. Toi, tu rêves de débat jusqu’au bout de la nuit, ou simplement en savoir plus sur les autres, déclencher une conversation, mais trop tard. Les écrans sont déjà allumés, les doigts défilent dans un mouvement quasi automatique, les conversations sont fermées. Il arrive parfois qu’une vidéo déclenche suffisamment d’intérêt pour qu’on daigne la partager aux autres, mais ce moment de complicité ne dure qu’un instant. Quelques secondes passent, le silence revient, seulement ponctué par ces musiques que tu entends en boucle depuis un mois et que tu oublieras un mois plus tard, jusqu’à leur grand retour d’ici cinq ans. Sur les portables de tes potes, Instagram, Tiktok, des conversations avec des personnes en dehors de la pièce, des vidéos plus intéressantes, bien plus drôles que d’avoir une conversation avec toi. Qu’est-ce que tu as à apporter aux autres finalement ? Tu n’oses plus poser de questions de peur de produire le même effet qu’un pétard mouillé. Vient un moment où même ton copain ne répond plus. Peut-être que tu ne traînes pas avec les bonnes personnes ? Ou peut-être que tu es le problème ? Tu n’as jamais rien dire à dire, comment veux-tu faire le poids face à la dernière information croustillante sur un homme politique, un meme sur l’actualité, un type qui perd son bras à cause d’un accident, et que sais-je encore ? Les sujets qui te plaisent, tout le monde s’en tape. Alors, par dépit, tu sors ton gros livre. Tu t’attends à des regards étonnés, mais non, une fois encore, tout le monde s’en tape. On ose ensuite te faire savoir par conversations interposées, sous-entendus, que tu es un peu trop réservée. Tu as envie de dire : Ah oui, pardon, c’est vrai, j’avais carrément zappé. Se voir pour rester devant un écran, même pas le même en plus, c’est la nouvelle manière de communiquer ! J’étais à côté de la plaque, moi qui pensais que le concept, c’était justement de communiquer entre nous, vu que, c’est bizarre, nous sommes dans la même pièce ! Tu te tais pour ne pas passer pour la rabat-joie de service.</p><p></p><p>Quelqu’un finit par briser le silence. On te pose une question, tu réponds, pour te rendre compte que ton interlocuteur s’adressait à un ami qui n’a pas été invité, et que par ta faute il doit recommencer son vocal.</p><p>Toi, tu pètes un câble, tu te surprends à rêver du lycée où certains profs confisquaient les portables pour les réunir dans une grande boîte où vous pouviez tous les récupérer en fin de journée.</p><p>Restons seule un instant.</p><p>Rentrons chez nous sécher nos larmes.</p><p>L’amitié, ce n’est pas le Club des Cinq, l’amitié s’entretient en s’envoyant dix reels en une journée pour ne pas se dire grand-chose.</p><p>On ne peut pas dire que tu n’aies pas essayé. Tu suis toutes les personnes que tu connais ainsi que leurs amis proches sur Instagram. Tu recontactes souvent des vieux potes qui te répondent “ouais, on se redit ça” pour ne plus jamais t'envoyer de messages. Tu regardes leurs stories, à ces personnes si occupées. Tu aimerais comprendre quels sont tes défauts, ce que tu pourrais faire pour qu’on daigne t’accorder un après-midi en tête à tête ou même en groupe, mais non, apparemment même ça, c’est devenu compliqué à demander. Alors oui, le monde ne tourne pas autour de toi, c’est un fait, tu l’acceptes. Les gens ont une famille, parfois un travail, les cours, des relations qu’ils font passer avant et c’est tout à fait normal.</p><p>Ta solitude n’est plus une prison, tu y prends goût et pourtant, tout cela te déprime. Ce n’est pas comme ça que tu imaginais vivre ta jeunesse.</p><p></p>