L’artiste est-il maître de son travail ? C’est le second sujet de dissertation pour le bac de philosophie en filière technologique. Je vous propose de le commenter un peu. Désolé du retard, j'ai oublié de poster ce commentaire ! /!\ Ceci n’est pas une dissertation, ni un corrigé. J’essaye de proposer quelques pistes de réflexion pour analyser la question, je pose quelques idées pour s’interroger sur le sujet. L’artiste est-il maître de son travail ?En lisant cet énoncé, j’ai tout de suite pensé à l’idée de la mort de l’auteur. Et de cette façon, j’ai compris, d’abord, ce sujet sous le prisme de la maîtrise de l’œuvre, une fois publiée, publique ; l’artiste est-il encore le « maître » de cette œuvre, l’œuvre lui appartient-elle encore ? Notons donc que cette première interprétation de la question suppose deux définitions particulières : le travail devient l’équivalent de « œuvre » et « maître » qui signifie « avoir des droits sur son œuvre, avoir l’autorité sur son œuvre, posséder l’œuvre qu’on a soi-même créé ». Et quitte à parler des « droits » d’un auteur, je me dois de rappeler la phrase de Godard : l’artiste n’a pas de droit, il n’a que des devoirs.Néanmoins, maîtriser son travail peut également signifier : dans quelle mesure l’artiste a-t-il besoin d’une maîtrise (de la) technique pour faire son œuvre d’art ? Encore autrement : En quoi le travail de l’artiste demande-t-il une maîtrise technique ? Cela nous invite à réfléchir sur le lien entre art et technique : la technique suffit-elle pour faire une œuvre d’art ? L’artiste n’est-il qu’un « technicien » ? Il s’agit donc d’interroger ce qu’est la technique et de découvrir sa part, si tant est qu’on lui en donne une, dans le processus, le travail, de création artistique. Cependant, on ne peut tout à fait identifier technique et art, notamment quand on observe certains objets techniques comme les paniers en osier : si l’art n’était que technique, la vannerie serait un art. Et pour accepter que la vannerie soit un art, il faudrait accepter que toute industrie, tout artisanat soit une forme d’art à part entière.I. L’artiste possède-t-il son œuvre ?Dans quelle mesure l’artiste possède-t-il le fruit de son travail ? Jusqu’où peut-on dire que l’artiste maîtrise son œuvre ?D’abord, l’artiste n’a-t-il pas des droits ? Ne parle-t-on pas des droits d’auteur ?Autorité sur l’œuvreL’artiste est « maître » de son travail au sens où il la possède, il a tout pouvoir la concernant ; il en a les droits. La loi française, par exemple, dit ceci :Article L111-1« L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, […]. »Article L121-1« L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.Ce droit est attaché à sa personne.Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur.L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »Article L121-2« Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. »Article 123-1« L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire.Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. »L’auteur a donc « tous les droits » sur son œuvre, elle lui appartient, à moins qu’il ne la cède à quelqu’un d’autre. L’auteur, donc, a tous les pouvoirs sur son œuvre, il peut l’exploiter comme bon lui semble ; et il a des droits dessus. Il en est donc le maître, au sens de propriétaire.Il a des droits, il possède son œuvre. Tout du moins, il la possède juridiquement.Mais cette notion est-elle véritablement pertinente ? En effet, Jean-Luc Godard critiquait cette notion d’auteur (et de droit d’auteur) ; pour lui, l’artiste n’a pas de droit, il n’a que des devoirs, « Un auteur n’a aucun droit. Je n’ai aucun droit. Je n’ai que des devoirs » dit-il aux Inrockuptibles pendantun entretien sur Film socialisme.L’auteur n’a aucun droit ? Comment donc ? Pourtant, le droit d’auteur existe ? Qu’est-ce qu’il faut en comprendre ?Il y a, à mon sens, deux façons de le comprendre, d’abord esthétiquement, puis politiquement. Esthétiquement, la mort de l’auteur, la disparition de la propriété, transparaît dans le montage des films ; les films de Godard, à mon sens, sont du collage, un art du collage. Godard s’amuse à coller différents éléments, à les intégrer, à les faire cohabiter, à produire comme une émulsion. Il prend des morceaux de films, des paragraphes ou autres extraits de livres, quelques citations, des fragments de musique, une bribe d’images ; en bref, c’est la quintessence de la partition, la partie dépasse le tout et le tout réuni et sublime les parties. Godard parvient à les lier, les mettre ensemble, les concilier, pour faire quelque chose de nouveau, de la poésie. Godard en donne lui-même un exemple durant cette entrevue aux Inrockuptibles ; il utilise un passage du film La plage d’Agnès de Varda, le passage avec les trapézistes. Il ne fait pas que d’emprunter une image, il en fait quelque chose de nouveau :« [Le plan des trapézistes] n’est pas une citation, je ne cite pas le film d’Agnès Varda : je bénéficie de son travail. C’est un extrait que je prends, que j’incorpore ailleurs pour qu’il prenne un autre sens, en l’occurrence symboliser la paix entre Israël et Palestine. […]– Pour exprimer la paix au Moyen-Orient par une métaphore, pourquoi préférez-vous détourner une image d’Agnès Varda plutôt qu’en tourner une ?– Je trouvais la métaphore très bien dans le film d’Agnès.– Mais elle n’y est pas…– Non, bien sûr. C’est moi qui la construis en déplaçant l’image. Je ne pense pas faire du tort à l’image. Je la trouvais parfaite pour ce que je voulais dire. […] »Il mobilise et utilise ce qui se trouve autour de lui : tout lui est un matériau pour ses films, un peu comme pour Bruno Latour tout est matière à philosopher. Pour Godard, tout est matière à « cinéma ».Et c’est pour ça, parce que son cinéma est un cinéma du « collage », que Godard n’apprécie pas la propriété intellectuelle et, tout particulièrement, Hadopi. Et cela nous indique également la dimension politique de son cinéma ; pour lui, un film « socialiste », c’est un film qui passe par l’association, et en même temps, un film qui se lie aux « opprimés » :« Il n’y a pas de règles. Ça tient de la poésie, ou de la peinture, ou des mathématiques. De la géométrie à l’ancienne surtout. L’envie de composer des figures, de mettre un cercle autour d’un carré, de tracer une tangente. C’est de la géométrie élémentaire. Si c’est élémentaire, il y a des éléments. Alors je montre la mer… Voilà, ce n’est pas vraiment descriptible, ce sont des associations. Et si on dit association, on peut dire socialisme. Si on dit socialisme, on peut parler de politique. »Il ajoute également :« Le socialisme [de Film socialisme] consiste à saper l’idée de propriété, à commencer par celle des œuvres… Il ne devrait pas y avoir de propriété des œuvres. Beaumarchais voulait seulement bénéficier d’une partie des recettes du Mariage de Figaro. Il pouvait dire “Figaro, c’est moi qui l’ai écrit”. Mais je ne crois pas qu’il aurait dit “Figaro, c’est à moi”. Ce sentiment de propriété des œuvres est venu plus tard. Aujourd’hui, un type pose des éclairages sur la tour Eiffel, il a été payé pour ça, mais si on filme la tour Eiffel on doit encore lui payer quelque chose. »Engagement politique et engagement esthétique : voilà ce qu’est le « socialisme » du film et ce rejet de la propriété intellectuelle et de l’autorité de l’artiste. L’artiste n’a aucune autorité ; il ne possède pas son œuvre, il n’en est pas le maître ; au contraire, il est le serviteur du peuple, des opprimés, des individus, des personnes qui regardent les films. Au lieu de « maître », l’artiste devient « esclave ». Il devient, car avant, il était maître.Un maître ? Quel maître ? Qui ? Quoi ?Mais, en même temps, on s’en fiche un peu de savoir qui écrit quoi ? En effet, qu’importe qui écrit l’histoire, qui dit telle thèse ; l’important, c’est l’histoire ou la thèse, et pour la thèse, si elle est vraie ou non.Pour ma part, cette idée m’arrangerait ; en effet, j’ai plutôt une mauvaise mémoire concernant les noms. Mais au-delà de ça, il faut noter que l’autorité de l’artiste n’est pas garantie même par ce qui est écrit ; parce que, en réalité, que ça soit Victor Hugo qui ait écrit Les Misérables ou bien Balzac, ça ne change pas grand-chose à l’histoire telle qu’on la connaît : Les Misérables, ça reste Les Misérables et qu’on oublie le nom de l’auteur, ça ne change pas fondamentalement l’histoire, d’autant plus que, qu’importe qu’on l’ait oublié, c’est toujours Hugo qui était aux commandes.Dans le Charmide (161c), Platon nous rappelle cette idée :– Et moi de m’exclamer : « Fripouille, c’est de Critias que tu tiens cela ou d’un autre de nos sages !– Probablement d’un autre, intervint Cr