Déclaration de Rafael glucksmann sur le meurtre d'aboubakar cisse <p>Aboubakar Cissé est mort à 22 ans, massacré dans une mosquée. Simplement parce qu’il était musulman, en France, en 2025.</p><p>Nous ne pouvons le ramener à la vie ou arrêter la main du criminel dans son geste qui glace le sang et les mots de tristesse comme les témoignages de compassion semblent dérisoires. </p><p>Mais nous lui devons justice et vérité. </p><p>Et, si nous faisons confiance à la justice française pour punir son assassin, la vérité sur ce crime et ce qu’il dit de notre société, elle, est notre affaire à tous. </p><p>Et la vérité, c’est que ce meurtre atroce n’est pas une irruption soudaine, inexplicable de violence dans un havre de paix et de tolérance. La vérité, c’est que ce crime est le produit de longues et de lourdes dérives. La vérité, c’est qu’il nous dit quelque chose que nous n’avons pas le droit de zapper, qu’il dit une France traversée de peurs et de haines et qu’il nous pose des questions fondamentales auxquelles nous devons répondre, collectivement et individuellement. Pour ne pas sombrer.</p><p>Pouvons-nous nous accommoder d’une société dans laquelle fleurit la haine? </p><p>Voulons-nous d’une France où les musulmans ont peur d’aller prier? </p><p>Voulons-nous d’une France où les Juifs ont peur de mettre une kippa dans la rue? </p><p>Voulons-nous d’une France où la compassion est hémiplégique, où le deuil lui-même est soumis à l’injonction campiste, où certains se refusent à commémorer la mort d’un musulman et où d’autres interdisent à Jérôme Guedj de le faire?</p><p>Cette peur et cette haine qui gangrènent le pays transforment la vie de tant de nos concitoyens, voisins ou amis en épreuve et en douleur. </p><p>Peu à peu, la France voit s’éteindre ses vieilles lumières et l’ombre se propager. Dans l’espace public. Et, parfois même, soyons honnêtes, en chacun de nous. La société ouverte n’a rien de naturel et la tolérance est un combat, intime autant que public, de chaque instant. Ne rien laisser passer en soi et autour de soi est un effort constant. Vital. </p><p>Ce qui est insupportable, c’est l’assassinat d’Aboubakar Cissé. Et ce qui est insupportable aussi, c’est que, chaque jour des Français aient peur d’être ce qu’ils sont ou ce qu’ils veulent être. Peur de vivre leur foi ou leur absence de foi, peur d’assumer leur culture ou de la renier, peur d’exister tout simplement. </p><p>Cette peur, entretenue par des discours de haine et d’intolérance qui ont pignon sur rue désormais, est un poison qui finira par avoir la peau de notre démocratie comme du vieux rêve français de république si nous ne réagissons pas avec force.</p><p>Alors, je nous pose à nouveau cette question : est-ce cela, la France que nous voulons ?</p><p>Si ce n’est pas cela, et cela ne peut pas être cela, notre France, alors nous ne devons plus rien laisser passer. La France que nous aimons et que nous voulons continuer ensemble est une nation émancipatrice et ouverte, où chacun peut vivre librement. Pour la maintenir en vie et la faire triompher, nous devons sortir de notre torpeur.</p><p>Le combat contre la haine raciste est un combat sans début ni fin. Le jour où, il s’arrêtera, ce n’est pas le signe que nous aurons gagné, c’est que nous aurons tout perdu. Nous ne produirons sans doute jamais cette société rêvée dans laquelle chacun accepte spontanément l’autre. Mais nous pouvons éviter de produire cette société cauchemardesque dominée par la haine et la peur. </p><p>En luttant, en agissant, en vivant ensemble.</p>