Chapitre 3 https://youtu.be/4VVH6S1P-xY?list=PL8z79euQaq-ljKXqRjapOe7iDrlYUfJVG Assoupi sur le fauteuil, Félicien sent la douce brise lui caresser le visage. L'odeur lui fait ressentir une mélancolie teintée de tristesse, elle annonce la fin de l'automne et l'arrivée imminente de l'hiver. Cette pensée lui serre le cœur, alors il garde les yeux fermés, cherchant à retourner aux plus profonds des abysses. En sombrant doucement vers les rêves, ses hallucinations commencent toujours par deux voix lointaines qui discutent entre elles. Félicien ne peut dire de quoi elles parlent, mais cette conversation, bien que floue, le rassure. Puis l'odeur des feuilles mortes s'efface, remplacée par un parfum qu'il avait presque oublié : le doux arôme des roses du jardin familial, celles que sa mère arrosait avec tant d'amour. Cela lui rappelle ses jeux à ses côtés, avec sa peluche qu’il ne quittait jamais. Il sourit, amusé, et se demande comment il a pu oublier cette époque où il ne se séparait jamais de sa mère. Ce doux moment prend fin quand trois coups frappent à la porte. Félicien ouvre les yeux, la discussion insaisissable de fond s'estompe et laisse place à un long silence entre-coupé par le bruit de l'horloge. Le maître du manoir contemple son vieux bureau, encombré de livres en désordre, dans cette pièce vieillotte qui de toute la demeure est parmi celles qu'il apprécie le moins. Elle ressemble à une prison, pourtant, Félicien y revient sans cesse, cherchant des activités pour passer le temps : lire ou simplement tourner en rond. Il pousse un soupir avant de laisser entrer son domestique et ce dernier, toujours aussi souriant et radieux, entre avec un plateau en main. Il dépose le thé fumant sur le bureau, mais son maître ne lui décoche pas un regard, se contentant d'observer le paysage morne à travers la fenêtre. La nature, autrefois d’un orange flamboyant, vire à une teinte brunâtre et terne. Des feuilles mortes traînent encore un peu partout, tandis qu’un chat noir errant se roule dans l’herbe avant de relever la tête, alerte. Le félin croise le regard de Félicien qui détourne aussitôt les yeux. — Raphaël. — Oui, Monsieur, avez-vous besoin de quelque chose ? — J'aimerai que nous cultivions des roses dans le jardin. — Pardon ? s'exclame Raphaël, surpris. — Je veux que nous cultivions des roses dans le jardin, répète le maître, déjà irrité. Prévoyez ça pour le début du printemps. Surpris, son domestique acquiesce : — D'accord, est-ce pour un évènement en particulier ? — Non, je souhaite juste avoir des roses dans mon jardin. J'aimerai avoir quelque chose qui me donne l'impression d'être chez moi. Raphaël entend de la mélancolie dans la voix de son maître. C'est étrange, cette tristesse mêlée à du regret lui rappelle beaucoup de vieux souvenirs, il ne demande pas plus de détails, compatissant. — Très bien, alors nous irons faire les courses dès aujourd'hui, auriez-vous d'autres demandes ? sourit-il, chaleureusement. Félicien cogite, tiraillé. Le mois de décembre approche et avec lui, ce qu'il considère être le coeur de l'hiver, une saison qu'il n'a jamais su apprécier. Pourtant, c'est également le mois où se déroule Noël. Le jeune homme ne l'appréciait que pour son côté festif, lorsqu'il était enfant, et avec le temps et l'âge, il a développé de l'indifférence, mais il sait que sa mère qui était une fervente croyante accordait beaucoup d'importance à ce jour. Même si Félicien n'a jamais su adhérer aux principes religieux qui lui paraissaient être des fabulations, il ressent tout de même le besoin de lui rendre hommage, pour lui exprimer son affection, même après sa mort. — Oui, en effet, j'aimerai que pour le mois de décembre, nous fêtions Noël tous ensemble. Raphaël ne peut s'empêcher de froncer les sourcils. Son maître n'a jamais voulu célébrer cette fête les années précédentes et ne semblait pas avoir la moindre fibre religieuse ; il considérait même ce jour comme une perte de temps. Pourtant, l'homme acquiesce. Son interlocuteur traverse sûrement une période de remise en question, et il vaut mieux ne pas l'interroger davantage. — D'accord, alors nous allons préparer tout cela. — Je n'ai rien d'autre à ajouter, vous pouvez disposer, termine Félicien, avant de siroter son thé. Sans discuter, Raphaël quitte le bureau en refermant doucement la porte derrière lui. Ce changement de dernière minute est une sacrée surprise. Il doit commander des roses pour le printemps et, plus urgent encore, organiser le Noël à venir. Cela fait un long moment que ce manoir n’a pas célébré cette fête ; de plus, de ce qu'il sait, sa propre lignée n'était pas spécialement croyante. Mais cela ne l'empêche pas d'en être ravi. Après tant d'années, il y aura enfin un dîner convivial avec tous les résidents du manoir. Tout en descendant les escaliers, il réfléchit à l'organisation des prochains jours puisqu'il y aura beaucoup à faire. Raphaël traverse ensuite le couloir droit pour retrouver la domestique, qu'il aperçoit dans le jardin arrière, occupée à déblayer les feuilles mortes. — Marianne, je ne vous dérange pas trop ? l'interpelle son supérieur. — Raphaël ? Non, vous ne me dérangez pas, je viens tout juste de terminer ma tâche ici. À ces mots, son supérieur remarque les feuilles mortes accumulées à ses pieds, elles pourraient être utiles. Raphaël pourrait les faire sécher pour en faire un combustible sec, parfait pour allumer le feu dans le poêle. Une solution pratique, surtout avec l'hiver qui approche. — Vous avez fait du bon travail, félicite-t-il, souriant. Pour ce qui est de la suite, pourriez-vous aller faire des courses au village ? — Des courses ? Il y a un problème ? s'inquiète Marianne. En général, ni Raphaël ni Marianne n'ont besoin de faire régulièrement les courses puisque le manoir reçoit un panier de nécessaires devant leur porte, chaque semaine. Alors s'il y a besoin d'en faire dans l'immédiat, ça signifierait que la personne qui se charge de faire ces livraisons est en incapacité d'accomplir sa tâche pour une durée indéterminée et c'est souvent synonyme de problème. Pourtant, son supérieur la rassure aussitôt : — Non, il n'y a pas de problème. Juste un changement de dernière minute. Monsieur voudrait des roses pour ce printemps et a émis l'envie de fêter Noël cette année. — Vraiment ? Ça me semble très soudain, il y a une raison à cela ? questionne Marianne, curieuse. — Malheureusement, je ne pourrai pas vous répondre, peut-être que monsieur Sinclair fait ses premiers caprices ? plaisante son supérieur, avec un petit rire. En tout cas, nous devons nous plier à sa demande. — D'accord, je devrai donc aller me rendre chez la fleuriste et puis... chez... — Chez madame Rousselle, ce sera la première fois que vous vous y rendrez, mais ne vous inquiétez pas, sa demeure est reconnaissable ; il s'agit d'une maisonnette à la toiture rouge et un enclos à poules à côté. Avec cette description, Marianne se souvient, effectivement, d'une maisonnette de ce genre. La seule fois où elle était passée à côté, le coq s'était jeté contre le grillage pour l'intimider et protéger les siens, ce qui avait surpris la jeune domestique à ce moment. Si c'est bien celle-là, elle la retrouvera sans difficulté. — Je vois quelle maison c'est, acquiesce-t-elle. Je devrai aller voir madame Rousselle pour la prévenir que nous fêterons Noël ? — Exactement, comme ça elle pourra déjà acheter les ingrédients nécessaires pour une bonne journée de fête, surtout pour un repas de Noël, explique Raphaël, enthousiaste. — D'accord, alors je vais me préparer. — Allez-y, et attendez-moi dans le hall pour recevoir votre bourse pour les courses. Dans le hall, Marianne enfile son châle pour affronter le froid extérieur. Après un moment d'attente, elle récupère sa large bourse, accompagnée de la consigne habituelle de ne pas la perdre. La jeune femme quitte enfin la demeure, se dirigeant vers le village voisin. Il lui faudra bien trente minutes à pied pour y arriver, ou peut-être vingt si elle marchait d’un bon pas. Comme à son habitude, ses pensées deviennent silencieuses pendant le trajet. Marianne cesse de réfléchir lorsqu’elle n’a rien à faire. À la place, une étrange mélodie envahit son esprit, une sorte d’inquiétude tapie dans l’ombre, qui la met mal à l’aise sans qu’elle en comprenne vraiment la cause. https://www.youtube.com/watch?v=H_LLZ_YguuM En marchant rapidement, Marianne arrive au village plus vite que prévu et peut enfin relâcher un peu de la tension qui l'habite. L'ambiance, elle, n'a pas changé : les enfants jouent au ballon devant la mairie malgré le froid, les travailleurs s’affairent à leurs tâches, d'autres discutent devant leur porte, tandis que certains traînent dans les bars ou s'activent dans les champs. Même si elle n'est venue ici que trois fois depuis son installation au manoir, Marianne a l'impression de ne jamais avoir quitté le village. Trouver la fleuriste ne sera pas difficile : le village est petit, et surtout, elle se souvient encore des motifs floraux peints sur la porte de la boutique. Chaque fois qu’elle se rendait au village, elle s'arrêtait pour observer ces jolis dessins ou les fleurs qui sont exhibées lors des beaux temps, fascinée. Elle aimait les douces couleurs et l'odeur des fleurs, qui la calmaient rien qu'en les regardant. Arrivée à destination, Maria