Episode 1 : De 1946 à 1972 Pour mieux comprendre comment une guerre civile a pu avoir lieu entre 1984 et 1988 en Nouvelle-Calédonie et mieux répondre à mon commentaire sous le post de @AIavPTIGg4Uh1G (voir https://qwice.com/Point/wavaLdQdMLfvMc pour le contexte)... je vais remonter le temps et vous expliquer l’histoire de la Nouvelle-Calédonie à partir de 1946. Je vais découper mon propos en plusieurs parties, voici le premier épisode… <h1><strong>Une brève histoire de la Nouvelle-Calédonie de 1946 à nos jours</strong></h1><h2><strong>Episode 1 : De Lamine Guèye aux élections territoriales de 1972</strong></h2><hr /><p style="text-align:justify;"><strong>Que s’est-il passé en 1946 ?</strong></p><p style="text-align:justify;">Le 7 avril 1946, avec le soutien notable de la SFIO (ancêtre du Parti Socialiste actuel), le député du Sénégal, M. Lamine Guèye, parvient à faire passer une loi qui va changer durablement le statut des autochtones dans les terres dont la France a pris possession… ce qui vaudra aussi pour les kanaks de la Nouvelle-Calédonie.</p><p style="text-align:justify;">Ainsi, ce statut assure la nationalité française à ces populations autochtones et, en Nouvelle-Calédonie, terre qui, durant la Deuxième Guerre Mondiale, fut aux côtés de la France Libre de De Gaulle et qui servit de base arrière à l’armée américaine, cela va être complété par d’autres textes de loi qui garantissent alors aux kanaks la liberté de circulation, de propriété… et surtout le droit de voter.</p><p style="text-align:justify;">Si seul un petit comité de 267 kanaks est concerné en 1947 par le droit de vote, ce droit va s’appliquer progressivement à une part de plus en plus importante de la population kanak jusqu’à ce qu’en 1957, tous les kanaks ayant la majorité puissent voter aux élections.</p><p style="text-align:justify;"><strong>Attends… tu es en train de dire que les kanaks n’avaient pas le droit de vote avant, ni même de liberté de circulation ou de droit de propriété alors que c’est leur terre à la base ?</strong></p><p style="text-align:justify;">Malheureusement… oui ! Depuis la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853 par la France de Napoléon III, les terres les plus fertiles furent confisquées aux kanaks pour permettre d’abord à d’anciens repris de justice de pouvoir s’y installer après avoir purgé leur peine dans l’un des bagnes de la Nouvelle-Calédonie. Par la suite, on décida d’implanter d’autres colons volontaires dans l’archipel progressivement.</p><p style="text-align:justify;">Les kanaks se sont révoltés à deux reprises : en 1878 et en 1917… les deux révoltes se sont terminées dans un bain de sang et ont été durement réprimées par les autorités françaises.</p><p style="text-align:justify;">Suite au code de l’Indigénat mis en œuvre en 1887, les kanaks se sont ainsi retrouvés avec énormément de devoirs… et peu de droits, voire presque plus de droits ! Devant payer un impôt pour vivre sur leurs propres terres, accepter le fait que le gouverneur désigne lui-même les chefs de tribu, accepter de servir de main d’œuvre corvéable à merci pour le compte des autorités ou des colons… les kanaks s’éteignirent peu à peu et leur population connut un lent déclin jusque dans les années 1920.</p><p style="text-align:justify;">Pour vous dire à quel point les kanaks étaient mal perçus… quand Marius Archambault, directeur des « Postes et Télégraphes » et archéologue amateur, découvre des pétroglyphes (pierres marquées d’inscriptions) en allant dans la brousse calédonienne au début du siècle dernier (voir https://journals.openedition.org/jso/12558 pour avoir des photos de ces pétroglyphes)… il les attribue à une civilisation antérieure et écrit ceci : « Les Canaques ne sont vraisemblablement pas les premiers occupants de l'archipel néocalédonien. Leurs mœurs familiales très arriérées et leur très peu d'inventivité forment contraste, avec la complication de leur état social ; d'autre part, avec la perfection relative de certains de leurs arts techniques (poterie, irrigation, monnaie). Les Canaques ont dû acquérir ces arts de la race préoccupante à laquelle ils se sont substitués ».</p><p style="text-align:justify;">Et ce point de vue d’Archambault, ce n’était pas un cas isolé à l’époque… même s’il y a eu des exceptions comme Maurice Leenhardt, un pasteur protestant, qui respectait les kanaks et qui a fait un vrai travail d’anthropologie les concernant à partir des années 1920. Il avait même réfuté les dires d’Archambault concernant les pétroglyphes.</p><p style="text-align:justify;">Mais malgré cela, les autorités françaises ne se soucient guère du sort des kanaks. Ainsi, en 1931, les Français font croire aux kanaks qu’ils vont avoir l’opportunité de présenter leur culture à des Français à Paris.</p><p style="text-align:justify;">Enthousiastes d’être enfin considérés normalement, certains kanaks se portent volontaires, heureux de pouvoir partager avec les Français sur leurs us et coutumes… Mais, ce que ces kanaks ignorent, c’est qu’ils seront enfermés en cage lors de l’Exposition Coloniale de Paris et qu’on les obligera à danser torses nus, à faire croire aux visiteurs qu’ils sont des sauvages en les enjoignant d’hurler et de même faire croire aux gens qu’ils sont… des cannibales.</p><p style="text-align:justify;">S’il est vrai que certaines tribus kanakes furent cannibales par le passé… tout cela est terminé désormais et c’était déjà le cas des pauvres kanaks qui furent exposés aux yeux des Parisiens en 1931. Si certaines voix, parmi les Français, se sont élevées pour dénoncer la chose... le mal était fait pour les kanaks concernés qui, eux, n'ont jamais oublié cette humiliation. Ainsi, je pense que vous comprenez désormais mieux pourquoi l’obtention du droit de vote, du droit de propriété et de la liberté de circuler fut si importante pour les kanaks à partir de 1946, car ces droits-là, depuis la prise de possession par la France, ils ne les avaient jamais eus. </p><p style="text-align:justify;"><strong>La situation politique de 1946 à 1972</strong></p><p style="text-align:justify;">Dès 1946, un nouveau parti, le Parti Communiste Calédonien est fondé et défend les droits des kanaks ainsi que l’indépendance du territoire. Mais le positionnement athée et anticlérical de ce parti ne plaît clairement pas à tout le monde et surtout à certains locaux très attaché à la religion catholique ou protestante.</p><p style="text-align:justify;">Victime d’un attentat à son domicile à peine une semaine avant les législatives, la secrétaire générale du parti communiste calédonien, Jeanne Tunica y Casas, renonce à s’y présenter… et décide, à peine un mois plus tard, d’émigrer en Australie pour échapper aux menaces pesant sur sa famille. Le parti dont elle était une des fondatrices ne lui survivra pas très longtemps et, dès 1947, il disparaît du paysage politique calédonien.</p><p style="text-align:justify;">En parallèle, deux organisations confessionnelles, l’UICALO (Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre) d’inspiration catholique dirigée par Rock Pidjot et l’AICLF (Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français) d’inspiration protestante dirigée par Kowi Bouillant sont fondées.</p><p style="text-align:justify;">Ces organisations confessionnelles sont alors conçues pour canaliser les revendications des populations kanakes suite à la loi Lamine Guèye de 1946. Finissant par faire cause commune avec le député centriste Maurice Lenormand ainsi qu’avec d’autres autonomistes locaux, l’UICALO et l’AICLF fusionnent en 1957 pour créer un parti : l’Union Calédonienne. Ce parti autonomiste, l’Union Calédonienne, porte alors le slogan : « Deux couleurs, un seul peuple » et va régner jusqu’en 1972 sur la vie politique calédonienne !</p><p style="text-align:justify;"><strong>Que se passe-t-il en 1972 ?</strong></p><p style="text-align:justify;">Déjà, quelques années avant, deux petits mouvements indépendantistes se forment au sein de la communauté kanake. Ainsi, les « Foulards Rouges » mené par Nidoïsh Naisseline voit le jour en 1969 et le « Groupe 1878 » mené par Elie Poigoune est crée deux ans plus tard.</p><p style="text-align:justify;">Les élections territoriales de 1972 ne donneront pas de majorité claire aux autonomistes de l’Union Calédonienne ou aux anti-autonomistes des autres partis politiques. Pour la première fois, les deux camps doivent se partager les responsabilités au sein de l’Assemblée territoriale (c’est l’équivalent d’un conseil régional en France à titre de comparaison)… mais, au sein du camp autonomiste, l’Union Calédonienne est de plus en plus désunie et cette désunion, elle va atteindre son apogée en 1977…</p><p style="text-align:justify;"><strong>Que va-t-il se passer en 1977 ? Vous le saurez dans le prochain épisode. 😉</strong></p>