Chapitre 4 Musique d'ambiance : https://youtube.com/shorts/zOPtmwZdVfI Chapitre 4À l'approche du mois de décembre, les domestiques se hâtent en cuisine. Raphaël fait l'inventaire de la réserve, et ajoute des notes dans son carnet, tout en monologuant pour ordonner ses pensées. Quant à Marianne, elle s'occupe de couper les légumes et de les ranger dans des bocaux. Elle acquiesce aux questions de son supérieur sans vraiment l'écouter, d'autant plus que ce dernier ne semble pas attendre de réponse. Par la fenêtre, la domestique peut voir le paysage avec les arbres dénudés, le lac se couvrir doucement de givre ainsi que le village voisin. Elle n'a pas eu l'occasion de s'y rendre puisque les opportunités manquent, mais ce n'est pas comme si elle s'impatientait à l'idée d'y retourner.D'ailleurs, la jeune femme ignore ce qu'ils font depuis l'aube. Son supérieur lui a donné plusieurs légumes à couper sans donner plus de raison à cela, excepté que c'était en préparation pour l'arrivée de l'hiver, sauf que dans ses souvenirs, elle n'a jamais eu à faire ce genre de préparatifs dans sa précédente maison. Marianne ne s'est pas posé plus de questions et n'a pas à se plaindre de la tâche, car rester en cuisine lui permet de profiter de la chaleur au lieu de grelotter inutilement à l'extérieur. Cependant, des interrogations commencent à émerger. Se passe-t-il quelque chose dont elle n'aurait pas connaissance ?— Dans le pire des cas, nous pourrions faire fondre de la neige pour nous hydrater, explique Raphaël, le nez dans ses papiers. Même si cela ne risque pas de plaire à Monsieur.— Excusez-moi, Raphaël, l'interrompt Marianne, en arrêtant de couper les carottes. J'aimerai juste savoir s'il y a une raison pour laquelle nous faisons nos réserves ? Il se passera quelque chose cet hiver ?Sans le vouloir, Marianne laisse transparaître de l'inquiétude ; elle n'est pas vraiment anxieuse, mais une légère palpitation se fait sentir, sans qu'elle puisse en identifier la cause. Étonné, Raphaël s'aperçoit qu'il lui a donné trop peu de détails concernant leurs tâches. Conscient de son erreur, il souhaite la rectifier et lui explique rapidement la raison de ces préparatifs.— Veuillez me pardonner Marianne, je ne souhaitais pas vous alerter. Rien de grave, rassurez-vous. Je ne fais que prendre des précautions, à cause d'une tempête qui a eu lieu vers l'ouest, le mois dernier. On ne sait jamais quand notre approvisionnement sera interrompu.— Donc c'est juste une précaution ?— Oui, Monsieur redoute chaque arrivée de l'hiver, il m'en a fait part ces derniers jours, alors j'essaye de le rassurer de manière à lui faire comprendre que même dans le pire des scénarios, tout se passera sans encombre, explique-t-il. Mais soyez sans crainte, ça ne risque pas d'arriver, c'est un cas exceptionnel et rare, nous n'aurons pas à changer notre routine.Marianne acquiesce alors, il ne s'agissait que de précaution pour protéger et rassurer le maître.— Je vois. Vous paraissez être proche de lui, fait remarquer sa subordonnée, avec le sourire.— Je ne suis pas sûre que nous soyons très proche, mais je pense, quelque part, considérer Monsieur comme mon fils spirituel, explique-t-il, sur un ton de plaisanterie. Malgré son côté rude, j'essaye de l'accompagner au mieux. Je le dois même, car il a tendance à garder les choses en lui-même et c'est quelque chose qui m'inquiète.— Vous savez beaucoup de choses sur lui, malgré tout.— Bien sûr, je côtoie Monsieur depuis plus d'un an déjà, répond-il, souriant. Il n'est pas une mauvaise personne. Alors veuillez le pardonner si jamais vient le jour où vous devrez le côtoyer. Dites-vous qu'il traverse une période très difficile.— Ne vous en faites pas, je m'en souviendrai, le rassure Marianne.La discussion s'achève et les deux domestiques continuent leur travail. Raphaël reprend son monologue, évoquant Noël qui approche et les courses à faire. Sa subordonnée n'y prête plus vraiment attention, se concentrant davantage sur sa tâche. Ses doigts, fripés à force de couper les légumes mouillés, la forcent à les sécher rapidement avant de reprendre ; heureusement pour elle, il ne reste plus beaucoup de légumes à mettre en bocal. À cet instant, Raphaël, tout en faisant des calculs sur son carnet, pose une question à priori anodine.— Avez-vous fêté une fois Noël, Marianne ?— Moi ? se réveille Marianne de ses pensées, après un moment d'absence. J'ai participé à la préparation de Noël pour des amis de ma précédente famille. Ça a été une ambiance très particulière et amusante.— Et votre famille ?— Ma famille ?À cette question, la jeune femme s'arrête dans sa tâche, pensive. Chaque fois qu’elle tente de se rappeler sa famille, un épais brouillard envahit son esprit ; à peine effleure-t-elle la vérité qu’elle lui échappe aussitôt, la laissant avec un sentiment de vide. Marianne fixe à présent ses radis d’un regard absent, essayant, une fois de plus, de fouiller dans un passé inaccessible. Peu importe ses efforts, le résultat est toujours le même : un mur infranchissable. Devant son long mutisme, Raphaël se rend compte de son indiscrétion, pris dans un automatisme de discussion alors qu'il avait l'attention rivée sur son carnet. Il s'excuse aussitôt, en levant le nez.— Veuillez me pardonner Marianne, vous n'êtes pas obligé de répondre à cette question, se reprend le domestique, avec un rire nerveux.Ce dernier essaye de ne jamais mentionner le passé de sa subordonnée, ou très peu. Compte tenu des circonstances avec la guerre qui a ravagé le pays pendant quatre ans, ainsi que le passé trouble de Marianne, il se doute que l’histoire qui se cache derrière ne doit pas être très joyeuse, et il n’est pas là pour raviver de douloureux souvenirs. La jeune femme ne lui en tient pas rigueur et lui sourit pour le rassurer ; de toute façon, l'intérêt de se souvenir de sa famille s'est déjà évanoui. Le domestique change alors de sujet pour alléger l'ambiance :— En tout cas, j'espère que nous passerons un excellent Noël.— Je l'espère aussi. C'est la première fois que je participerai à un Noël. C'est toujours intriguant de faire une fête qui se déroule à la même date chaque année, rétorque la jeune femme, souriante.— Vous ne connaissiez pas Noël ? — Avant ? Je ne crois pas.— Je vois.La conversation s’estompe après cette réponse. Marianne se concentre pleinement sur sa tâche, elle ferme le dernier bocal de copeaux de radis, puis le tend à son supérieur pour qu’il puisse l’inscrire dans son carnet. Une fois cela fait, elle le range dans un panier en osier pour faciliter le transport. Au total, il y en a six, remplis de récipients contenant toutes sortes de légumes ou de fruits. Lorsque Raphaël ferme son carnet avec satisfaction, il interpelle sa subordonnée :— Juste après avoir rangé les bocaux dans le sous-sol, nous irons chercher les stères dans le cabanon à l'arrière. — Il ne fallait pas le faire cet après-midi ? demande Marianne, surprise.— En effet, mais comme nous avons fini beaucoup plus vite que prévu, je pense que nous pouvons déjà aller les chercher. Je remercie votre efficacité pour cela, félicite Raphaël, avec le sourire. — Je ne faisais que suivre les ordres, s'exclame son interlocutrice, gênée.— Et vous le faites très bien ! Bref, suivez-moi.L'homme saisit quatre paniers qu'il parvient à transporter sans trop de difficulté, tandis que la jeune fille se contente de deux paniers. Elle avait pourtant insisté pour en prendre un de plus, mais Raphaël avait refusé, craignant que cela ne soit trop lourd pour elle et n'affecte sa croissance. Le chemin n’a pas été très long, car leur destination se trouvait juste derrière une porte que Raphaël empruntait souvent. Marianne s'arrête, surprise de découvrir qu'il s'agissait en fait d'un sous-sol, depuis tout ce temps. — C'est cette porte ?— Oui, c'est celle que j'emprunte le plus, n'est-ce pas ? sourit son supérieur. J'entrepose des aliments là-bas et je travaille aussi dans la restauration et l'entretien de divers objets.Raphaël pose momentanément ses paniers, attrape la lampe à huile posée sur une table à côté, et craque une allumette. Il lui faut plusieurs essais avant que la flamme prenne. Il ouvre ensuite la porte avec son coude et commence à descendre les marches avec aisance. Sa subordonnée le suit, mais en apercevant l'obscurité qui règne dans le sous-sol, elle se fige sur place, comme si le néant la fixait en retour. Son corps entier est secoué d'un frisson, et, comme si un vent froid à glacer le sang l'avait frappée, elle se met à trembler frénétiquement ; le poids de ses paniers pèse au bout de ses bras, comme si sa force l'avait quittée. Les jambes tétanisées, Marianne se retrouve comme clouée au sol, incapable de contrôler le moindre mouvement.Ses pensées, jusque-là silencieuses, s’emballent, et son corps réagit comme si des milliers de mains invisibles l'agrippaient de toutes parts, enfonçant leurs griffes profondément dans sa chair. Elle n’arrive plus à respirer, même en prenant de grandes inspirations, elle ne sent pas l'air entrer. Alerté par des bruits étranges, Raphaël se retourne et découvre la terreur sur le visage de sa subordonnée. Surpris, il ne s’attendait pas à voir une telle expression sur le visage de Marianne, elle qui est habit