Chapitre 8 <p style="text-align:center;"><strong>Chapitre 8</strong></p><hr /><p style="text-align:justify;">Félicien peut se rappeler de ses premiers jours de maladie, durant son enfance. Les hallucinations faisaient partie de ses journées et il ne pouvait plus dissocier la fiction de la réalité. Parfois, il voyait le cadavre de sa mère au pied de son lit, avec son sang qui remplissait la pièce et sa berceuse qui se distordait, de plus en plus ; parfois, il voyait son chien, dépecé et éventré, en train de pleurer continuellement ; parfois, son bourreau le fixait, depuis un coin de la pièce, sans bouger, avec une tête changeante et méconnaissable. La terreur et la douleur se mélangeaient, le faisant crier jusqu'à en perdre la voix. À son jeune âge, Félicien savait que ce serait des souvenirs qui le hanteraient jusqu'à sa mort.</p><p style="text-align:justify;">Aujourd'hui, deux semaines après le début de sa maladie, le jeune homme ressent déjà une amélioration de son état de santé. Il avait craint des jours compliqués et, bien que ce ne soit pas une période agréable, ce n'était pas aussi chaotique que durant son enfance. Les journées lui paraissent encore étranges, et la notion du temps se dérègle entre chaque assoupissement. Dans ce qui lui semblait être la même minute, il pouvait voir Raphaël en train de lire au milieu de la nuit, puis Marianne lui nettoyer le visage avec un linge, et de nouveau Raphaël ouvrir la fenêtre pour aérer la pièce. Pendant ces moments où il tanguait entre le rêve et la réalité, le jeune homme pouvait souvent apercevoir sa domestique fixer le vide, et se demande si elle se contentait simplement de rester à ses côtés sans rien faire, avant de se rendormir.</p><p style="text-align:justify;">Félicien ressent néanmoins encore une lourde fatigue, ce qui le laisse très inactif durant la journée. En ouvrant les yeux, le regard du jeune homme est attiré par ce qui se trouve de l’autre côté de la fenêtre ; il ne voit que du blanc à perte de vue et devine sans peine qu’il doit neiger abondamment dehors. La brume de ses rêves se dissipe, et Félicien parvient à s’ancrer dans la réalité, après plusieurs jours de léthargie, ne plus être en proie à des hallucinations étranges est un véritable soulagement pour lui. Il finit par remarquer la présence de Marianne, à ses côtés, qui lui sourit poliment.</p><p style="text-align:justify;">— Bonjour, vous avez bien dormi, Monsieur ? questionne-t-elle, d'une petite voix.</p><p>— Oui.</p><p style="text-align:justify;">Félicien est pris une quinte de toux et se racle la gorge. Au moins, sa voix est moins enrouée et graveleuse qu'auparavant, il peut discuter sans en souffrir. Inquiète, Marianne vérifie sa température, en apposant le dos de sa main contre son front, c'est toujours chaud, mais plus aussi brûlant que la semaine précédente.</p><p style="text-align:justify;">— Je crois que la température a un peu baissé.</p><p style="text-align:justify;">— Tant mieux, rétorque Félicien.</p><p style="text-align:justify;">— C'est une bonne nouvelle, vous commencez déjà à aller mieux. Même vos sommeils ont l'air d'être moins perturbés, rassure Marianne, soulagée.</p><p style="text-align:justify;">Félicien ne rétorque rien, mais il doit bien admettre que ses nuits sont plus calmes qu’aux premiers jours de maladie. Même ses cauchemars ne sont plus aussi récurrents qu’auparavant, et, bien qu’ils ne le terrorisent plus, il apprécie de pouvoir dormir sans devoir forcer pour se réveiller afin d'y échapper. Avec un linge à disposition, sa domestique nettoie le cou transpirant de son maître et elle s'aperçoit qu’elle pourrait peut-être lui proposer de faire une toilette au lit pour se laver un peu, puisque ces derniers jours, elle s’était simplement contentée de lui passer un linge frais pour le nettoyer histoire de ne pas perturber son sommeil.</p><p style="text-align:justify;">— Monsieur, souhaitez-vous faire votre toilette dans le lit ? Je pense que ça vous ferait du bien de vous laver.</p><p style="text-align:justify;">— Faites donc, rétorque son interlocuteur, en regardant, ailleurs.</p><p style="text-align:justify;">Félicien ne montre aucun signe d’agacement à ce sujet, et manifeste d’ailleurs très peu d’intérêt, préférant perdre son regard par-delà la fenêtre. Avec sa permission, Marianne s’absente de la pièce pour aller chercher le nécessaire pour faire la toilette au lit. À son retour, elle porte une petite bassine d’eau avec beaucoup d’attention — la montée des escaliers n’a pas été une mince affaire, pour ainsi dire — et sort une éponge de la poche de son tablier pour la plonger dans l’eau. Une légère odeur citronnée s’échappe des vapeurs ; la jeune domestique a pris l’initiative d’y ajouter quelques gouttes de citron, espérant que cela ne poserait pas de problème. En regardant son maître, elle constate qu’il n’a toujours pas bougé d’un iota, toujours plongé dans ses pensées.</p><p style="text-align:justify;">— Monsieur, vous souhaitez vous laver seul ou dois-je m'en occuper ? demande-t-elle, interrogative.</p><p style="text-align:justify;">— Faites, je n'ai pas la force de rester assis, longtemps.</p><p style="text-align:justify;">— D'accord.</p><p style="text-align:justify;">Doucement, Marianne aide son maître à s’assoir sans le brusquer. Ce dernier laisse toutefois échapper une plainte, piqué par une douleur à la tête, être alité aussi longtemps n'est pas sans dommage. Il se laisse déboutonner la chemise, sans se crisper ni s'irriter. Lorsque la jeune femme la lui ôte le haut, elle est surprise de voir quelques côtes légèrement visibles, bien que cela ne soit pas suffisant pour parler de maigreur. Cela n’a rien d’étonnant, étant donné que le malade se nourrit très peu ces derniers temps à cause de ses longues phases de sommeil, mais cela reste toujours frappant de le constater. Marianne laisse son regard se perdre un instant sur le corps de Félicien, pensive, ce qui finit par interpeller ce dernier.</p><p style="text-align:justify;">— Y a-t-il un problème ?</p><p style="text-align:justify;">— Oh, pardon, j'ai été absente un petit moment, je vais commencer.</p><p style="text-align:justify;">En se concentrant sur sa tâche et tentant d’ignorer son impression de déjà-vu, Marianne saisit l’éponge qui flotte à la surface de l’eau, la tord pour l’essorer, puis commence à nettoyer doucement la peau de son maître. Ce dernier se laisse faire, toussant par moments, ce qui interrompt le silence dans la pièce. Il garde la tête tournée vers la fenêtre ; dehors, tout est blanc, d’un blanc si intense qu’il évoque presque le néant, ce qui semble happer le jeune malade. Au vu de son intérêt, sa domestique ouvre une conversation à ce sujet.</p><p style="text-align:justify;">— Vous aimez la neige, Monsieur ?</p><p style="text-align:justify;">— Non, au contraire, je déteste ce temps. Je crois même que je ne l'ai jamais apprécié.</p><p style="text-align:justify;">Le jeune homme s'exprime avec une voix calme, voire douce, ce qui tranche avec la froideur de ses propos.</p><p style="text-align:justify;">— Il y a une raison pour laquelle vous n'aimez pas la neige ? demande Marianne, étonnée.</p><p style="text-align:justify;">— Qui sait, répond Félicien, en haussant les épaules. Les gens peuvent détester quelque chose, sans raison apparente.</p><p style="text-align:justify;">Il s'agit des mêmes explications que Raphaël, à quelque mot près, pourtant, Marianne n'est pas convaincue. Elle plonge l'éponge dans l'eau et retourne laver son corps.</p><p style="text-align:justify;">— En êtes-vous sûr ?</p><p style="text-align:justify;">— Pourquoi ce ne serait pas le cas ? rétorque son maître, perplexe.</p><p style="text-align:justify;">— Quand vous regardez la neige, vos yeux semblent mélancoliques, fait-elle remarquer, intriguée. Alors j'ai dû mal à croire que vous puissiez haïr l'hiver.</p><p style="text-align:justify;">— Mélancolique ? marmonne-t-il.</p><p style="text-align:justify;">https://youtu.be/ysZ2YpXd_BU</p><p style="text-align:justify;">Félicien ignore pourquoi il donne cette impression. Il ne sait pas s’il pourrait vraiment parler de haine envers l’hiver, mais en même temps, il ne pourrait pas totalement le nier. Cette saison l’a toujours dérangé, aussi loin qu’il s’en souvienne. Peut-être qu’il existe bien une raison à cette aversion, alors il fouille le plus loin possible dans ses souvenirs. La seule chose qui lui revient de son enfance est toujours la même scène qu'il n'a pas oubliée : celle où il joue aux pieds de sa mère, alors qu’elle brode quelque chose près de la fenêtre.</p><p style="text-align:justify;">Il essaie de se concentrer sur des détails précis, comme la broderie de sa mère, ses vêtements, ou la couleur de son siège, mais rien de plus ne refait surface. Il fini