Chapitre 2 Musique d'ambiance : https://youtu.be/kFkPlVtyIg8 Chapitre 2Dans son bureau, Félicien tourne les pages du journal du jour. Il s'était promis de ne pas lire l'actualité à cause des articles imbriqués vulgairement les uns sur les autres, ce qui rend la lecture bien désagréable. Mais par manque d'activité à faire, il se permet de faire un écart pour cette fois. Une odeur boisée et de feuilles mortes traverse sa fenêtre, l'automne est déjà bien avancé et tire sur sa fin. Sans y porter attention, le jeune homme remarque que sa gorge est sèche et qu'il n'a pas bu son thé de l'après-midi. C'est étrange, Raphaël ne se montre jamais négligent et lui amène toujours sa tasse à horaires fixes. Après plusieurs minutes, accentuées par le bruit de l'horloge, Félicien soupire et se lève de sa chaise pour aller le chercher.Dans le couloir, il prend conscience qu'il n'a plus la gorge irritée et cela, depuis quelques jours. Interloqué, il ne parvient pas à se remémorer s'il a passé un jour sans tousser de manière récurrente et violente ; il lui aura fallu du temps pour comprendre ce qui avait changé par ici. Les marches des escaliers grincent sous ses pas jusqu'au premier étage et, une fois arrivé dans le hall d'entrée, Félicien remarque la nouvelle domestique en train de balayer le couloir menant à son dortoir. La jeune femme ne l'a pas remarqué, consciencieuse dans son travail. Sans avoir la curiosité de savoir quel genre de personne elle peut bien être, le maître du manoir jette un coup d'œil vers la porte menant à la cave. Elle bâille, entre-ouverte, signe que Raphaël traîne bien en bas. De plus, la lampe à huile n'est pas posée sur la table. Il s'en doutait, dès que son domestique tarde, Félicien sait qu'il se trouve dans le sous-sol pour exercer son autre activité.Sans attendre, le jeune homme ouvre grand la porte avant de s'enfoncer dans l'obscurité, tout en faisant attention aux marches irrégulières. Le chemin semble long, bien trop long même, et il se demande toujours pourquoi l'architecte a conçu un sous-sol qui descend aussi bas. Agacé, il aperçoit au loin une lumière de sous une porte. Il soupire de soulagement, une fois arrivé, ayant craint de trébucher, et se permet d'ouvrir cette lourde porte en piteux état. Il retrouve effectivement Raphaël, qui se tourne vers son maître, surpris.— Monsieur ?— J'attends mon thé, Raphaël. N'auriez-vous pas remarqué le temps qui défile ?À ces mots, son interlocuteur sort sa montre à gousset pour se rendre compte qu'il est bien en retard.— Mes plus plates excuses Monsieur, je n'ai pas vu l'heure passée, explique-t-il, en acquiesçant. Je devais nettoyer la plupart des artefacts aujourd'hui.— Ces cailloux ? demande son maître, en désignant la pierre de couleur vermillon que tient Raphaël.— La plupart sont de simples cailloux, c'est vrai. Mais d'autres ont la forme de papier, de statuette ou de livre.En énonçant la liste, le domestique se tourne vers une multitude de tiroirs fermés. Toute la petite pièce prend la poussière, avec quelques toiles d'araignée qui traînent par endroits. Par précaution, le maître du manoir sort un mouchoir de sa poche pour le plaquer contre sa bouche et son nez ; la poussière et lui ne font pas bon ménage. Félicien ne s'est jamais senti à l'aise dans ce sous-sol qui lui donne une drôle d'impression. Habituellement, il se contentait de rappeler son domestique à l'ordre, puis remontait aussitôt à la surface, mais aujourd'hui, il décide d'y jeter un coup d'œil, par curiosité. Alors il inspecte le lieu et remarque un éboulement dans un coin de la pièce. Intrigué, il s'approche pour l'examiner. La quantité de poussière sur l'éboulis lui signifie que ces décombres ne semblent pas être récents. Un incident aurait-il eu lieu à son arrivée ? Il n'en est pas sûr, sinon cela l'aurait marqué.— Est-ce que ces décombres se trouvaient déjà là ? questionne Félicien, à travers le tissu de son mouchoir.— Pour ce qu'on m'en a dit, oui, c'était déjà là .— Ça me semble étrange. S'il y avait un éboulement, j'ose croire que toute la pièce aurait été condamnée.— C'est ce qui m'avait interpellé, admet Raphaël. Malheureusement, je ne suis pas allé investiguer plus loin, car je ne souhaitais pas provoquer un incident qui aurait pu virer au drame. Le mieux était de laisser les choses ainsi et de m'occuper des artefacts présents.Félicien se désintéresse aussitôt de cette singularité. De toute manière, connaître la réponse ne changerait rien à sa vie. Il porte son attention sur les divers tiroirs qui entourent son domestique et s'approche de ce dernier pour voir ce qu'il manipule. À première vue, cela ressemble à des pierres précieuses colorées. Le jeune homme l'interroge :— À quoi servent-elles ?— Ces pierres ? Ce sont des Qalbs, ils serviraient de connexion entre le propriétaire et son cœur, explique-t-il avec le sourire. Apparemment, ils ont comme particularité de vouloir se rejoindre à tout prix.— Ah, des bijoux avec de soi-disant pouvoirs surnaturels ? affirme Félicien, sur un ton sarcastique, en tirant un tiroir au hasard pour y apercevoir des petites pierres d'un bleu transparent. J'imagine que ça doit avoir son succès auprès des incultes ou des paysans.— Peut-être, sourit son interlocuteur, en rangeant ses quatre artefacts dans leur tiroir. Je me contente de les nettoyer, je n'ai jamais pu constater leur efficacité moi-même. J'imagine qu'ils ne me jugent pas digne de confiance ou qu'ils ne m'ont pas choisi.Raphaël l'explique sur un ton léger, mais peu importe comment Félicien peut voir la chose, il ne peut pas s'empêcher d'y voir une perte de temps et ce, avec la plus grande ouverture d'esprit dont il peut faire preuve. Ces "Qalbs", ou peu importe comment Raphaël les appelle, ne sont que de vulgaires cailloux, sans propriété surnaturelle, auxquels on peut prêter n'importe quel pouvoir. Par ce biais, il ne peut pas comprendre pour quelle raison son domestique montre autant de rigueur à s'occuper de ces artefacts. Pourquoi autant de patience, autant de passion pour une activité dont il ne pourra pas être sûr de l'utilité ? N'a-t-il pas peur de perdre son temps sur quelque chose qui pourrait s'avérer vain ?— Comment pouvez-vous être sûr que ce que vous faites a un réel intérêt ? questionne Félicien, intrigué. Ne vous êtes-vous jamais dit que vous pourriez nettoyer de simples babioles ?— Ces questions m'ont traversé l'esprit, mais tout repose sur la confiance que j'éprouve pour les personnes qui ont perpétué ces principes, alors j'en fais de même.Le maître du manoir se demande si une simple confiance peut suffire à forger une vocation. Il pourrait adopter un ton cynique ou perplexe face aux actions de son domestique, mais il ne lui enlèvera jamais le fait d'avoir quelque chose à laquelle il croit. Félicien revient vers le cadre de la porte pour s'assurer qu'elle ne se referme pas, et jette un coup d'œil vers celle du hall d'entrée, toujours grand ouverte, ce qui le rassure quant à la circulation de l'air. Il range finalement son mouchoir de soie et en profite pour respirer un peu.— Vous ne m'avez pas précisé que ce manoir avait la capacité d'arrêter les malédictions ? demande Félicien, à moitié concentré.— Il n'arrête pas, à proprement parler, les malédictions. Le manoir a la capacité de restreindre énormément les bénédictions et les malédictions. Pour vous donner une idée, c'est comme si on atténuait la puissance d'un jet d'eau à un simple filet. L'eau n'a pas changé, c'est juste qu'elle sort de manière moins violente.— Pour quelles raisons fonctionne-t-il de cette manière ?— C'est une des questions à laquelle je ne peux pas répondre. Je n'ai jamais su pourquoi ce manoir avait cette particularité. Je l'utilise juste à mon avantage pour pouvoir avoir sous contrôle les artefacts, car si nous avons l'utilité de certains, nous ignorons le fonctionnement des autres, et il vaut mieux les laisser endormis, pour ne pas avoir de mauvaises surprises.— D'accord, réplique son maître, peu convaincu. Alors, comment avez-vous collecté ces pierres magiques ?— Je ne pourrai pas vous dire comment nous les avons collectés. Notre existence remonte à quelques générations déjà et nous n'avons que peu d'explication ou description écrite sur la provenance de la majorité des artefacts. Que ce soit mon père, mon arrière-grand-père, ou mon arrière-arrière-grand-père, personne ne sait grand-chose à ce sujet et j'avoue que je ne comprends pas pourquoi nous manquons d'informations.Autant de questions auxquelles son domestique ne peut pas répondre. Félicien ne saurait dire si son interlocuteur fait preuve d’une grande conviction ou d’une immense bêtise. Il faut, sans doute, l’un ou l’autre pour accepter d’exercer une fonction étrange sans en connaître la raison, surtout en sachant que même ses prédécesseurs devaient être dans le même cas. Ce n'est certainement pas quelque chose que le jeune homme accepterait de faire, il en est sûr. En arquant un sourcil, le maître du manoir demande :— Et pourtant, vous continuez à perpétuer l'entretien d'objets qui peuvent potentiellement être de vulgaires babioles ?— Effectivement, car nous savons que nous devons le faire. Notre dévotion