Chapitre 15 <p style="text-align:center;"><strong>Chapitre 15</strong></p><hr /><p style="text-align:justify;">https://www.youtube.com/watch?v=IfWZlDzaR_0&list=PL8z79euQaq-ljKXqRjapOe7iDrlYUfJVG&index=20</p><p style="text-align:justify;">Assoupi à son bureau, Félicien se laisse bercer par le chant doux et discret de sa domestique au-dehors. Il s'accorde depuis peu ce petit moment dans la semaine, une parenthèse où il peut se reposer sans crainte, une bouffée d'air où il peut entendre la voix de Marianne tandis qu'elle s'occupe de ses corvées de linges. Il en profite pour l'écouter, et grâce à cela, aucun cauchemar ne vient troubler son repos. Sa sieste s'achève dès lors que sa domestique cesse de chantonner et rentre dans le manoir. Lentement, Félicien ouvre les yeux mais doit les plisser un instant pour s'habituer à la lumière éclatante de la pièce. Il remarque que les feuilles de son manuscrit se sont éparpillées sur le bureau et s'empresse de les rassembler en une pile.</p><p style="text-align:justify;">Depuis leur dernière conversation, Félicien s’assure de trouver des moments pour être avec Marianne, rien que pour discuter. En général, ils se retrouvent durant le repas du soir, sa domestique lui apporte le plateau, et ils échangent sur tout et rien pendant ce moment de répit. Parfois, Félicien partage un peu le contenu de son assiette avec elle, conscient qu’il retarde son repas avec Raphaël à cause de leurs discussions et il est toujours étonné de la voir faire des mélanges inattendus, comme une entrecôte avec un carré de chocolat fondu dessus. Sa domestique le surprendra toujours. Mais durant ces moments où ils ne parlent que de banalité, Félicien peut sentir son cœur s'alléger chaque fois. Finalement, il apprécie discuter en bonne compagnie.</p><p style="text-align:justify;">Ceci dit, le jeune homme ne peut s’empêcher de remarquer que Marianne semble plus absorbée dans ses pensées ces derniers temps. Une fois, elle lui a exprimé à demi-mot une crainte, mais avec une personnalité aussi énigmatique que la sienne, il est difficile de comprendre ce qu’elle cherche vraiment à dire. Ses réflexions sont interrompues par trois coups frappés à la porte. Réveillé de ses pensées, Félicien donne l’autorisation d’entrer et Raphaël fait son apparition, portant un plateau comme à son habitude, avec un sourire beaucoup trop éclatant depuis quelque temps. Ce sourire agace le jeune homme, sans qu’il sache bien pourquoi. Le domestique dépose la tasse de thé sur le bureau et jette un coup d’œil à la pile de feuilles près de son maître, prise d'une petite curiosité.</p><p style="text-align:justify;">— Oh, je vous vois souvent griffonner sur des feuilles, qu'écrivez-vous si je peux me permettre ? questionne le domestique.</p><p style="text-align:justify;">— Rien de très intéressant, je me prête juste à un exercice pour ne pas perdre l'habitude d'écrire, explique Félicien, en cachant le recto de la feuille. Dites-moi plutôt si vous avez des nouvelles du notaire.</p><p style="text-align:justify;">— En effet, il a bien transmis à votre belle-famille que vous ne souhaitez pas toucher à cet héritage.</p><p style="text-align:justify;">— Enfin, soupire son interlocuteur, soulagé, en se massant la nuque. Je vais enfin pouvoir mettre cette histoire derrière moi. Je pense que je les ai assez punis avec mon absence de réponse.</p><p style="text-align:justify;">— Je vous avoue avoir été surpris par votre décision, la première fois que vous m'en avez fait part. Sans vouloir vous manquer de respect, je pensais que vous essayerez de mettre la main sur cet héritage d'une manière ou d'une autre. </p><p style="text-align:justify;">— Vous n'avez pas tort. Pendant un bref instant, l'idée de remonter à Paris pour récupérer l'héritage m'a traversé l'esprit, admet-il, en croisant les bras. Mais honnêtement, cette mascarade a assez duré. Tous ces efforts pour quoi, finalement ? Si c'est pour faire un trajet risqué et obtenir une part de l'héritage risible, je préfère ne pas me mettre inutilement en danger pour cela. </p><p style="text-align:justify;">À cette réponse, Raphaël esquisse un sourire. Il y a encore quelques mois, son maître aurait sans doute pris la décision impulsive d’entreprendre un voyage pour aller récupérer son héritage, même en sachant que cela aurait été suicidaire compte tenu de son état de santé actuel. Donc cela le rassure de voir qu'il a renoncé à cette idée.</p><p style="text-align:justify;">— C'est une sage décision de votre part, Monsieur. J'espère que vous pourrez aller de l'avant, dès à présent.</p><p style="text-align:justify;">— Je l'espère aussi. Depuis tout ce temps, j'ai préféré ruminer et me lamenter sur mon sort, sans rien faire, sans rien entreprendre et j'espérais tout de même que les problèmes se résoudraient seuls, explique Félicien, avec un rire jaune. C'était totalement stupide de ma part, n'est-ce pas ? Ça m'arrangeait de penser de cette manière. Après tout, je justifiais mon comportement passif en parlant de principe et de politesse, juste pour masquer le fait que j'agissais lâchement.</p><p style="text-align:justify;">— Et qu'est-ce qui vous a fait changer votre façon de voir les choses ? demande Raphaël, souriant.</p><p style="text-align:justify;">À cette question, l’image de Marianne traverse l’esprit de Félicien. Le changement a opéré au moment où sa domestique est arrivée dans ce manoir, c'est certain. Si, au début, sa présence lui importait peu, en se limitant à une vague satisfaction d’avoir une employée supplémentaire pour entretenir son domaine délabré, les choses ont pris une autre tournure lorsqu’il est tombé malade. Marianne n’est pas très bavarde. Elle est même étrange et maladroite par moments. Pourtant, il ne peut nier qu’il l’apprécie. Le lien qu’il partage avec elle est difficile à définir ; il est inhabituel, mais solide, comme s’il avait toujours été là. Alors Félicien doit l'admettre : sa domestique est une figure importante dans sa vie, maintenant.</p><p style="text-align:justify;">— Inutile de chercher à savoir pour quelles raisons j'ai changé, esquive-t-il la question. L'important c'est que je veuille aller de l'avant, maintenant, alors concentrons-nous sur le présent.</p><p style="text-align:justify;">— Je vois, alors je ne vous questionnerai pas davantage, répond son domestique, amusé.</p><p style="text-align:justify;">Félicien préfère taire le fond de sa pensée, conscient que Raphaël pourrait rapidement s’imaginer des choses, ce qui le mettrait mal à l’aise. Alors, le jeune homme saisit l'anse de la tasse et sent une odeur bien différente qu'à l'habitude. Il inhale la vapeur qui s’en dégage et perçoit une fragrance florale délicate. Intrigué, il goûte une gorgée. Cela fait bien longtemps qu’il n’a pas savouré quelque chose d’aussi exotique. Ce thé est loin de ses habitudes, surtout avec cette légère acidité qui surprend au début. Mais rapidement, sa bouche est envahie par une douceur apaisante et reposante. Félicien n’a pas de mal à deviner que cette nouveauté est sans doute une idée de Marianne. Il reste silencieux, mais Raphaël, toujours observateur, perçoit dans l’attitude de son maître un signe évident d’appréciation.</p><p style="text-align:justify;">— C'est Marianne qui a eu l'idée de faire sécher les pétales de fleur pour les faire infuser dans le thé.</p><p style="text-align:justify;">— Je l'avais deviné, réplique Félicien. Elle a toujours eu les idées les plus farfelues, donc ce n'est pas étonnant.</p><p style="text-align:justify;">— Pourtant, nous sommes reconnaissantes qu'elle soit venue dans cette demeure, n'est-ce pas ? questionne Raphaël, en jetant un coup d'œil vers son maître.</p><p style="text-align:justify;">— Je dois admettre que je suis, effectivement, reconnaissant qu'elle soit venue travailler ici. Je cherche toujours un moyen de la récompenser pour tout ce qu'elle a accompli et pour m'avoir sauvé la vie, entre autres.</p><p style="text-align:justify;">Le domestique regarde son maître et remarque à quel point son visage montre moins d'austérité qu'à l'habitude. Raphaël n'avait pas ressenti un aussi grand soulagement depuis longtemps, celui de voir Félicien en train de réfléchir à autre chose que ses ruminations, baigné dans la lumière du soleil. "Il a changé" se dit-il. À son arrivée dans ce manoir, son maître était éteint et il ne voulait se prêter à aucune conversation. Mais avec le temps, Raphaël constate à quel point le jeune homme a commencé à s'ouvrir et à exprimer d'autres émotions que l'agacement ou l'aigreur. Il doit ce changement à sa subordonnée ; certainement que Félicien ait accepté de discuter avec une personne de son âge plutôt qu'avec quelqu'un de bien plus âgé.</p><p style="text-align:justify;">— Je suis certain que vous trouverez