"Jeter une bouteille à la mer", voici une expression universelle symbolisant un appel à l’aide, un message que l’on envoie dans l’espace, et parfois dans le temps, à un destinataire inconnu. <p>Au fil des siècles, l'acte symbolique de jeter une bouteille à la mer a sublimé le simple geste pour devenir une sorte de rituel poétique, une manière de communiquer avec l'inconnu et de laisser une trace de soi dans l'immensité des océans. C’est sans doute encore aujourd’hui le plus poétique et le plus incertain des moyens de communication qui existent. </p><p>Synonyme d’une faible probabilité de se faire entendre, il n’en reste pas moins que de belles histoires, bien réelles, sont nées de ce geste. </p><p>Au mépris de tous les dangers, des tempêtes, des courants contraires, de l’adversité, certaines bouteilles, et leur message, sont arrivées, poussées par le destin, mues par une main invisible et bienveillante.</p><p>Je vous en conterai deux parmi les plus fascinantes qui soient. Elles pourraient tisser la trame d’un film :</p><p></p><p>- En 1956, un marin suédois répondant au doux sobriquet de Ake Viking se met à imaginer l’amour. Alors qu’il navigue au large de Gibraltar, il jette une bouteille par-dessus bord, laquelle contient une lettre titrée "À l’attention d’une belle et lointaine personne" tout en livrant quelques informations sur lui. </p><p>Deux ans plus tard, la bouteille est retrouvée par un pêcheur sicilien qui la remet à sa fille Paolina pour s’amuser. Avec l’aide du curé de la paroisse, elle parvient à traduire la missive. Y voyant un signe du destin, elle décide d’y répondre : "Je ne suis pas belle, mais cela paraît miraculeux que la petite bouteille ait voyagé si loin jusqu’à moi." Une relation épistolaire débute, des photos sont envoyées. Ake finit par rejoindre l’île italienne et par épouser Paolina.</p><p></p><p>- Nous sommes en 1914. Thomas Hughes, soldat néo-zélandais de 26 ans, est envoyé sur le front, dans la Somme.</p><p>Sur le pont du navire, il écrit une ultime lettre à son épouse Elisabeth, restée au pays. Il la place dans une bouteille, avec un mot destiné à la personne qui la trouverait : "Monsieur ou Madame, jeune homme ou jeune fille, pourriez-vous transmettre cette lettre et gagner la bénédiction d’un pauvre soldat britannique sur le chemin du front ?" </p><p>Douze jours après avoir débarqué sur le sol français, Thomas meurt au combat. Près de 85 ans plus tard, dans l’estuaire de la Tamise, un marin pêcheur remonte par hasard dans ses filets, l’ultime message d’amour de ce poilu.</p><p>Il s’envolera alors pour la Nouvelle-Zélande, et avec beaucoup d’émotion, il remettra le précieux message à Emily Crowhurst, fille du destinataire, âgée de 86 ans.</p><p></p><p>Message singulier dans son étui de verre, l’image romanesque de la bouteille à la mer renvoie à toute l’intimité contenue dans cet écrin. Ce même abandon que l’on peut mettre dans la lecture car, ainsi que le disait Alfred de Vigny : “Un livre est une bouteille jetée en pleine mer sur laquelle il faut coller cette étiquette : attrape qui peut.”</p>