Romain Leclaire - Qwice

Le grand procès autour du monopole de Google

Romain Leclaire - Qwice 2025

Le grand procès autour du monopole de Google <p>Le vendredi matin où Google a annoncé que, selon lui, le juge fédéral américain en charge du procès n’avait pas besoin d’en faire beaucoup pour réparer son monopole dans la recherche en ligne, beaucoup de gens se sont demandé si cette déclaration audacieuse n’était pas un aveu implicite de la puissance que détient l’entreprise. À première vue, elle tente de montrer patte blanche en se disant prête à offrir plus d’options aux sociétés qui concluent des contrats avec elle pour définir son moteur de recherche par défaut. Pourtant, derrière ce discours apparemment conciliant, se cache une longue histoire de domination sur ce marché juteux et une bataille judiciaire qui pourrait bien bouleverser la manière dont nous utilisons nos navigateurs et nos smartphones.</p><p>Il est nécessaire de remonter un peu dans le temps pour comprendre pourquoi le moteur de recherche le plus célèbre au monde se trouve désormais au cœur d’un procès antitrust historique. Depuis de nombreuses années, Google conclut des accords commerciaux avec des fabricants de téléphones, des entreprises technologiques et des concepteurs de navigateurs web. Ces contrats, souvent d’une grande valeur financière, garantissent que le géant américain soit l’option de recherche automatique sur divers appareils et navigateurs. </p><p>Il s’agit donc d’une stratégie qui renforce sa présence, voire verrouille le marché au détriment de la concurrence. Le mois dernier, le gouvernement américain a proposé plusieurs solutions radicales pour remédier à ce qui est jugé être un monopole illégal. Parmi celles-ci se trouve l’idée de forcer Google à vendre Chrome, qui est aujourd’hui le navigateur web le plus populaire au monde. Cette seule mesure, si elle venait à être mise en place, aurait un impact considérable. On toucherait non seulement le moteur de recherche, mais aussi la manière dont des millions, voire des milliards, d’utilisateurs accèdent à Internet au quotidien. </p><p>Aujourd’hui, cette décision revient au juge Amit P. Mehta du tribunal de district de Columbia. D’ici août 2025, il doit se prononcer sur la façon d’aborder ce problème de monopole, ce qui pourrait avoir des conséquences énormes sur tout l’écosystème numérique. L’ampleur de l’enjeu est telle qu’il ne s’agit pas seulement d’un bras de fer entre Google et la justice américaine, mais aussi d’une question qui concerne la liberté de choisir, l’innovation dans le domaine de la recherche en ligne et, plus largement, la place de la concurrence dans un marché mondialisé.</p><p>Pour bien cerner la portée de cette affaire, il est bon de reprendre les grandes lignes de ce qui a été reproché à Google. Le département de la justice (Department of Justice, ou DOJ) et plusieurs États américains ont intenté une action en justice en 2020. Leur argument principal: Google aurait utilisé des pratiques anticoncurrentielles pour préserver et renforcer son monopole sur la recherche et la publicité associée à cette dernière. </p><p>Concrètement, ils lui reprochent d’avoir payé des entreprises comme Apple, Samsung ou Mozilla pour faire de lui le moteur de recherche par défaut. Cette tactique, associée à la force de la marque et à son avance technologique, aurait mis les autres services concurrents dans l’incapacité de rivaliser sérieusement. Selon les procureurs, cette domination inébranlable lui aurait permis de collecter des montagnes de données auprès des utilisateurs. Or, qui dit plus de données dit meilleure capacité à affiner les algorithmes de recherche, à offrir des publicités mieux ciblées et à améliorer en continu la qualité du service, ce qui rend la tâche encore plus ardue pour les concurrents qui tentent de s’infiltrer dans le marché. </p><p>La boucle, de ce point de vue, est bouclée: plus Google s’impose en tant qu’acteur quasi exclusif, plus il engrange de données, et plus il devient difficile, voire impossible, pour d’autres de se faire une place.</p><p>Google a de son côté avancé une défense: si les utilisateurs choisissent Google, c’est parce que c’est le meilleur moteur de recherche du marché. Et il est vrai qu’au fil du temps, la firme californienne a gagné en popularité grâce à son algorithme performant, ses interfaces épurées et la variété de services qu’elle propose (Gmail, Google Maps, Google Drive, etc.). Mais le juge Amit P. Mehta, au terme d’un procès de dix semaines l’an dernier, a estimé que la position dominante du géant du web contrevenait aux lois antitrust. Si, comme on le soupçonne, l’entreprise a usé de moyens de pression (en particulier financiers) pour exclure la concurrence, il s’agit d’une violation claire qui nécessite un remède approprié. </p><p>La question est donc désormais de savoir quel genre de remède le juge pourrait imposer pour rétablir la concurrence sur le marché. Le gouvernement américain, par la voix du DOJ, a déjà fait part d’une série de mesures choc. En plus de la vente possible de Chrome, il propose l’interdiction pour Google d’entrer dans des accords d’exclusivité pour le moteur de recherche. Selon cette vision, ses partenaires commerciaux (comme Apple, Samsung ou encore Mozilla) ne pourraient plus signer de contrats prévoyant que seul Google apparaisse par défaut, laissant ainsi la possibilité à d’autres moteurs de s’insérer. </p><p>Le gouvernement va même plus loin, il demande que l’entreprise soit contrainte de partager ses résultats de recherche et certaines données avec des concurrents sur une période d’au moins dix ans. Cela peut paraître extrême, mais pour les défenseurs de cette approche, c’est le seul moyen de combler le fossé technologique qui existe entre elle et d’autres services plus modestes. Grâce à cette mise à disposition d’informations, un concurrent pourrait optimiser ses propres algorithmes, mieux cibler les utilisateurs et gagner en pertinence dans les résultats. Sans cette mesure, les écarts de qualité resteraient trop grands.</p><p>Autre proposition, Google devrait choisir entre vendre Android, l’un des systèmes d’exploitation mobiles les plus utilisés au monde, ou se voir interdire toute manœuvre qui imposerait aux fabricants de smartphones de préinstaller obligatoirement ses services. Le gouvernement argumente que si la firme de Mountain View détient à la fois Android et le contrôle du moteur de recherche (ainsi que de la publicité), elle se trouve dans une position qui lui permet de forcer la main à d’autres entreprises pour utiliser ses produits. Difficile de contester que cette suprématie a contribué à placer Google au cœur de la plupart des expériences web. </p><p>Enfin, les autorités pointent aussi les investissements de Google dans l’intelligence artificielle, estimant qu’il devrait se séparer de certaines participations dans des sociétés spécialisées en la matière, car l’IA est considérée comme un atout stratégique pour la recherche. L’idée est que si la société continue de détenir d’importantes parts dans des entreprises innovant dans l’IA, elle pourrait consolider davantage son avantage concurrentiel, empêchant de nouveaux acteurs d’émerger.</p><p>Face à ce tableau plutôt radical, Google a récemment expliqué que des mesures moins drastiques pouvaient suffire, et surtout qu’elles seraient moins perturbatrices pour les utilisateurs et l’économie numérique dans son ensemble. La société se dit prête à continuer à payer d’autres entreprises pour que Google demeure l’option par défaut, mais veut bien admettre que ces contrats soient moins exclusifs. Concrètement, cela pourrait signifier qu’Apple, par exemple, puisse configurer plusieurs moteurs de recherche alternatifs par défaut pour l’iPhone, laissant l’utilisateur choisir librement. De la même façon, pour le système Android, Google imagine offrir plus d’options de moteurs de recherche au démarrage et tolérer que les fabricants de smartphones introduisent des variantes plus souvent. </p><p>L’entreprise américaine propose également d’instaurer un mécanisme permettant aux navigateurs comme Safari ou Firefox de changer le moteur par défaut au moins une fois tous les 12 mois. Son argument principal mis en avant est qu’une solution plus nuancée, moins radicale, répondrait efficacement au problème de monopole sans pour autant donner au gouvernement fédéral une « mainmise » sur la conception de ce que nous voyons et utilisons lorsque nous surfons sur Internet. Lee-Anne Mulholland, vice-présidente des affaires réglementaires chez Google, souligne que la société ne fait pas cette proposition à la légère, estimant qu’elle répond pleinement aux conclusions du tribunal, sans compromettre la sécurité et la confidentialité des utilisateurs, ni l’avance technologique américaine. C’est aussi un moyen, pour Google, de rappeler qu’il se considère comme un acteur majeur de l’innovation, contribuant au rayonnement mondial des États-Unis dans le domaine de la technologie. </p><p>Reste la question: que va en penser le juge Mehta ? Il a déjà fixé une audience qui débutera en avril prochain, durant laquelle chacune des parties défendra sa position sur les remèdes. Il recevra des témoignages et examinera les éléments concrets, notamment l’impact que pourraient avoir les solutions de Google sur la concurrence, ou à l’inverse, l’effet potentiellement disruptif du plan plus musclé proposé par le gouvernement. </p><p>Durant toute la durée de la procédure, le juge est d’ailleurs resté dis

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