Deus In Machina - Qwice

La Momie (ou "Al-Mummia", المومياء pour quiconque lit l'Arabe), un film égyptien de 1969, que j'ai trouvé sur YouTube. Ce fût une excellente surprise ! Je vais vous en parle

Deus In Machina - Qwice 2024

La Momie (ou "Al-Mummia", المومياء pour quiconque lit l'Arabe), un film égyptien de 1969, que j'ai trouvé sur YouTube. Ce fût une excellente surprise ! Je vais vous en parler, certes car j'aime l’Égypte, mais pas que pour ça, vous allez voir : le film traite de sujets surprenant. <p style="text-align:left;">Ce film fût produit par Roberto Rossellini : quiconque connaît ce nom devrait alors, d'ores et déjà, accorder de l'attention à ce petit film, premier long-métrage d'un des plus célèbres cinéastes du monde Arabe : Shadi Abdessalam. Je n'en parlerais pas outre-mesure, mes connaissances du cinéma arabe étant assez limitées, de même que pour la plupart des gens en Occident. Mais j'aime regarder des films de pays éloignés : pas seulement le Japon (comme trop de monde à mon époque), mais aussi, et surtout, l'Iran, la Russie, l’Égypte, Hong-Kong, la Chine, et parfois un peu l'Inde. Même si, je le redis, mon savoir est fort lacunaire en cinéma hors-Occident (sauf animation japonaise), le cinéma est pour moi une fenêtre vers d'autres mondes humains, d'autres cultures, d'autres lieux, toujours dépaysant par leurs différences et pourtant si parlant par leur humanité. <br /><br /><br />La Momie, c'est donc un film Égyptien, et ancien qui plus est, tourné en noir et blanc, existant en version colorisée (c'est celle que j'ai trouvé), avec un jeu d'acteur, disons... différent. Mais ce genre d'obstacle ne sont pas prêts de me rebuter. Je voulais voir un film sur les pilleurs de tombes ! <br /><br />Et c'est ce que j'ai eu. Le film se déroule à la fin du XIX siècle : à cette époque, l’Égypte fût plus ou moins modernisée, les mystérieux hiéroglyphes enfin déchiffrés, les ruines antiques sommeillant autrefois dans les sables enfin peu à peu déterrées. L'excursion du général Bonaparte a fait effet : le monde, et les Égyptiens modernes en premier lieu, se passionnent pour cette civilisation, qui se révèle enfin, . Ainsi, le film s'ouvre sur une réunion d'archéologues et d'expert, discutant d'un problème qui prend de l'ampleur : les tombes sont pillées, les bijoux et statuettes, pourtant si rares, revendues sur des marchés noirs, et les lieux certainement saccagés dans le processus. On envoie alors un des archéologues, renseignés sur ces pratiques, enquêter sur cette affaire afin de trouver les pillards et de sauver ce qui peut l'être.<br /><br />Puis, le film montre les pilleurs de tombes. Ou plutôt, un rite initiatique : un chef de clan nomade montre à son fils, assez âgé pour qu'il garde le secret, l’emplacement d'une tombe antique, dissimulée volontairement. Ils y descendent, ouvrent un sarcophage au burin, puis décapitent une momie sans guère plus de précaution pour lui enlever un collier richement paré à l'effigie de l’œil d'Horus. Puis ressortent, avec ce petit butin, referment la tombe et en cachent l'entrée. Plus tard, une conversation entre plusieurs membres du clan, les plus âgés, nous apprends que ces vols répétés se font, en fait, rarmeent, une fois tous les ans au plus, et sert à acheter de quoi survivre dans un monde de plus en plus hostile à leur mode de vie nomade.<br /><br />Ainsi, d'ores et déjà, ils ne ressemblent pas à l'image que l'on se fait de pilleurs de tombes, non qu'ils soient contre-intuitifs mais anachroniques à première vue : il s'agit de nomades du désert, sortes de bédouins autochtone vivant depuis toujours ici. Mais justement, là est le problème : ils ont toujours vécu ici, et n'ont plus que le pillage et le marché noir pour tenir face à la modernisation du pays. Ils sont les survivants d'un temps dépassé : des pillards tel qu'on en trouvait au Moyen-Âge, ou plus tard encore, au temps des califats. Mais qui n'ont plus leur places face à la modernité. Une modernité représentée par les gigantesque bateaux à vapeur circulant sur le Nil, les "villes flottantes" tel qu'ils les appellent, pleines de gens étrangers pour eux, dont ils se méfient. Et dans un de ces bateaux, l'archéologue mandaté pour enquêter sur tout cela, avec le qui le jeune héritier des secrets de la tombe va devoir pourparler un jour. <br /><br />Mais il n'y a pas que la "modernité" qui menace ce clan : le lien social, au sein même du clan, se délite. C'est en effet le sort de ce genre de toute petite société communautaires, basée sur une économie de subsistance et la coupure du monde. Si jamais ce genre de petites communautés "traditionnelles" vont font rêver, sachez-le ; ce sont souvent des enfers sociaux, dans lesquels on naît prisonnier d'un mode de vie et une situation qui ne laisse aucune place à l'individualité, et qui meurt dès lors que la survivance du mode de vie est ne serait-ce que remis en question. Lorsque j'ai vu ce cousin de l'héritier (je suis désolé je ne retiens pas les noms étrangers) fuyant son clan, à la fin du film, je n'ai pu m'empêcher de penser à ce que racontait Lévi-Strauss sur les petites sociétés amazoniennes : déjà dans les années soixante, la plupart se vidaient et mourraient, non car les colons les supprimaient, mais car les colons, mêmes très loin, à des milliers de kilomètres, ont un mode de vie largement plus avantageux, moins risqué et plus prospère, comparé à la permanente survie que sont les vies nomades en milieu hostile. <br /><br />Il en est de même pour ces autochtones du désert : dès lors que l'on commence à enquêter et rôder autour des ruines, la plupart dans le clan savent qu'ils ne tiendront pas. Et, n'ayant rien d'autre que la subsistance pour faire tenir le clan, une fois celle-ci remise en question, il commence à se vider lorsque les archéologues trouvent les tombes et se les accaparent, soigneusement. Bien qu'armés, les autochtones se refuseront même à tirer, même le doyen pourtant si méfiant envers eux, tant leur sort était, à ce moment, déjà scellé. <br /><br />Mais, selon le jeune héritier du clan, c'est autre chose qui a tué le clan. Pendant des années et des années, ils pouvaient vagabonder librement dans ces ruines colossales, imaginant quel peuple déchu a pu bâtir tout cela. Mais jusque là, ces vestiges ne signifiaient rien : un art colossal que nul ne comprends pleinement, des signes que plus personne ne pouvaient lire, des tombes pour des noms oubliés, des palais à jamais vides et que personne ne voudraient réinvestir. Puis tout a changé : "eux, ils savent lire les écritures sur les murs. Eux, ils connaissent les noms des statues !", dit le cousin à l'héritier. "Non ! Tous ces gens sont morts. Ils sont morts ! C'est toi qui les fait vivre !". (Ma traduction est approximatives, j'ai vu le film en sous-titré anglais)<br /><br />Ce mode de vie, fondamentalement, tenait moins sur la cachette que sur l'oubli. Si, pendant si longtemps, piller les tombes était si facile, ce n'est pas parce qu'elles étaient d'avantage ensevelies, mais car elles n'avait pas de valeur autre qu'une éventuelle valeur d'échange. La valeur du collier volé, au début du film, est monétaire pour les autochtones ; mais elle est culturelle et symbolique pour les archéologues. Or, c'est cette dernière qui gagne : à la fin, les archéologues, évidemment, gagnent un combat déjà remporté d'avance. Les autochtones ne vivaient que sur l'oubli des noms d'autrefois : on peut piller des tombes de païens d'autrefois : qui s'en souciera ? Et puis, vint le moment où gens s'en soucient. <br /><br /><br />La confrontation entre les archéologues et les bédouins n'est donc pas tant une question d'archaïsme et de modernité : elle est, ici, une question de rapport au passé et de rapport aux ruines. Pour les archéologues, elles sont le symbole d'une époque grandiose : érudits, ils racontent avec admiration les exploits des anciennes dynasties, remémorent un passé oublié pendant des millénaires, les yeux scrutés sur la Vallée des Rois. Pour les bédouins, ces bâtisses cyclopéennes ne représentent rien d'important, sinon un réservoir à monnaie. C'est cet oubli qui les a fait vivre, et c'est cet oubli qui les fera disparaître. Le film donc à la fois historique, culturel, mais aussi sociologique, parlant de la fin d'un type de société au profit d'une renaissance culturelle. <br /><br />Je finirais en parlant de la photographie, qui est superbe : tourné dans diverses authentiques ruines égyptiennes, à une époque où l'on pouvait encore les visiter sans infrastructures modernes dans le paysage (et, il faut le dire, avec bien moins de réglementation et de sécurité), tel que Karnak et la Vallée des Rois. Il y a indéniablement une poésie certaine dans ces images de bédouins agenouillés au pieds de statues colossales aux noms perdus, vagabondant dans des tombes vides, fixant l'éternité de la pierre. La contemplation des ruines est un thème courant, souvent éculé, mais ici, il s'en dégage dimension d'avantage tragique. Les hommes d'autrefois, ceux qui ont bâtis ces colonnes et gravé ces murs, les ont fait vivre tant qu'ils étaient morts, tant qu'ils étaient oubliés.</p>

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