Il paraît que « Je pense, donc je suis » (Descartes, Discours de la méthode, IV), ça veut dire que Je pense avant d'être, que ma pensée vient avant l'être, que mon existence est postérieure chronologiquement à ma pensée. Ce qui, d'un point de vue métaphysique (et même physique !), semble un peu bizarre : comment pourrais-je penser effectivement avant d'exister ? Savez-vous ce qui ne va pas dans cette explication du cogito ? <p style="text-align:justify;">« Et remarquant que cette vérité : <em>Je pense, donc je suis</em>, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. » — Descartes, <em>Discours de la méthode</em>, IV, AT VI, p. 32.</p><p style="text-align:justify;">Cet extrait (qui n'a JAMAIS été écrit en latin, puisque le <em>Discours</em> a été écrit et publié en français), c'est le moment où Descartes exprime ce qu'on appellera le <em>cogito</em> (pour <em>cogito ergo sum</em>, littéralement : je pense, donc je suis). Et d'après d'aucuns, Descartes fait une grosse erreur ! En effet, il dit qu'on pense avant d'exister ! Comment puis-je penser si je n'existe pas d'abord ?! Et <em>Patatra !</em> toute la philosophie cartésienne se retrouve chamboulée, dès ses fondements : Descartes s'est complètement planté ! Eh oui, « donc », c'est bien pour signifier un lien entre ma pensée et mon existence. Et ce lien, c'est un lien chronologique : je pense d'abord, puis j'existe. Cela est vraiment très difficile à tenir : je ne peux pas d'abord penser si je n'existe pas. C'est logiquement, physiquement et même métaphysiquement impossible. Descartes n'est-il pas, finalement, un parfait crétin ? Ou alors, il dit par là qu'il est Dieu, car seul Dieu (et encore, c'est plutôt simultané) peut penser avant d'exister !</p><p style="text-align:justify;">Et voilà comment on contredit Descartes en peu de temps. Et sans lire le bouquin aussi.</p><p style="text-align:justify;">Alors, vous avez vu ce qui posait problème dans cette « critique » ? Pourquoi ça ne marche pas ? Qu'est-ce qui fait que cette explication ne convient pas ? Je vous laisse encore y réfléchir avant l'explication.</p><p style="text-align:justify;">...</p><p style="text-align:justify;">...</p><p style="text-align:justify;">...</p><p style="text-align:justify;">C'est bon ? Vous avez trouvé ?</p><hr /><p style="text-align:justify;">Le problème, c'est... que « donc » ne fait pas un lien chronologique. En effet, il ne s'agit pas tant de dire que je commence par penser, puis j'existe, comme si mon existence découlait de ma capacité à penser. Ce que le cogito signifie vraiment, c'est que je suis certain de mon existence parce que je pense. C'est pourquoi « Je pense, donc je suis ». Bah oui, si je n'étais pas, je ne pourrais pas penser. Or, je pense, donc il faut bien que je sois. Et qu'importe ce que je suis : je suis ; et j'en suis certain !</p><p style="text-align:justify;">Pour le dire autrement, « ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci : j<em>e pense, donc je suis,</em> qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser, il faut être » (AT VI, p. 33). Voilà, si on poursuit la lecture de deux paragraphes, on remarque que cette critique fait juste dire à Descartes le contraire de ce qu'il dit. En effet, l'affirmation « Je pense, donc je suis » est vraie parce qu'il est clair et distinct que je ne peux pas penser si je n'existe pas. En gros, je <em>sais</em> que je suis parce qu'il faut être pour penser ; et comme je pense, c'est que je suis. Et c'est d'ailleurs cela qui permet à Descartes de déduire son critère de vérité : car, à l'exemple de cette proposition « Je pense, donc je suis », une chose est vraie quand elle m'apparaît clairement et distinctement. Je conçois clairement et distinctement que pour penser, il faut être, alors je peux en déduire que tout ce qui est conçu clairement et distinctement (quoi que ça signifie précisément : Descartes critique lui-même ce critère) est vrai.</p><p style="text-align:justify;">Alors, il est vrai qu'il y a un petit débat quant à savoir ce qui est la première certitude entre le « je pense » et le « je suis », voire le « Je pense, donc je suis » pris ensemble (à cause du donc, cf. Alquié), mais c'est un problème de commentateurs qui ne permet pas de faire dire à Descartes qu'on existe après avoir pensé. Ce qui est certain, c'est mon existence ; c'est que mon existence n'est plus une chose douteuse parce que je pense. Et c'est ça que veut dire le <em>cogito</em> ; ma première certitude (mon existence) est acquise grâce au fait de penser. Je sais une chose ; il existe des choses qui échappent au doute et donc je peux savoir, découvrir des vérités et surtout fonder une science nouvelle !</p><p style="text-align:justify;">Eh oui ! cette critique oublie le projet même du <em>Discours de la méthode</em> : fonder une science nouvelle, rigoureuse et certaine (ainsi que présenter la méthode pour comprendre les trois <em>Essais</em> qui suivent).</p><p style="text-align:justify;">D'ailleurs, dans les <em>Méditations Métaphysiques</em>, il privilégie l'expression « <em>Ego sum, ego existo</em> », soit « Je suis, j'existe », expression qui se débarrasse du « donc » et qui permet de lever l'ambiguïté et le contresens : le Malin Génie ne peut pas faire que je ne sois puisque, s'il veut me tromper, il a besoin de mon existence pour me tromper.</p><p style="text-align:justify;">Malin génie ? Que diable ! Eh oui, c'est l'autre problème de la critique : elle a COMPLÈTEMENT oublié le contexte. On est en plein dans le doute ; les maths elles-mêmes sont sujettes au doute. Il ne me reste plus rien, même pas les mathématiques et la géométrie. Tout est sujet au doute. Sauf... moi, mon existence de sujet. Car je pense ; parce que je suis trompé. Je pense, je suis trompé par un malin génie, donc j'existe. Et rien ne m'empêchera d'exister parce que je pense, parce qu'un malin génie me trompe. Et qu'il me trompe tant qu'il veut, il ne peut m'annihiler s'il me trompe. Je pense, je pense, et pour que je puisse penser, il faut bien que je sois, que je sois un truc. Et quel truc ? Un sujet pensant !</p><hr /><p style="text-align:justify;">Pour conclure, évitez les formules toutes faites, les « citations-chocs » (pour reprendre la drôle d'expression de ma professeure de philosophie de Terminale) ; faites attention à leur sens. On a tendance à les interpréter n'importe comment, faute de contexte ; or, en philosophie, <strong>c'est le contexte, le raisonnement, la structure argumentative, la place de la citation dans le développement de l'auteur, qui fait tout</strong>. « Je pense, donc je suis » ne peut certainement pas dire que je pense en premier, chronologiquement, puis j'existe ; la seule chose qu'on puisse dire, c'est que je remarque d'abord, voire, je sais d'abord, que je pense, et j'en déduis que j'existe, car il m'est impossible de penser si je ne suis pas.</p><p style="text-align:justify;">Que n'a-t-on pas fait dire à Pascal ! « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » fait partie de ces citations devenues des sortes de proverbe, d'adage, de dicton, qu'on aime ressortir sans en comprendre le sens. Non, Pascal ne parle pas d'amour (ou du moins pas d'amour érotique, seulement de l'amour pour Dieu, de la foi).</p><p style="text-align:justify;">Pareil pour ce bon vieux Hegel pour qui « rien de grand ne s'est fait sans passion » ! On aime à interpréter cette phrase pour dire que les belles actions, voire la création artistique, demande une passion (généralement, passion positive) ce qui est un peu éloigné de ce que dit Hegel. « Rien de grand ne s'est fait sans passion » renvoie bien plutôt au développement de l'Histoire mondiale, aux grands hommes. C'est donner un rôle aux passions dans le développement de l'esprit, dans la réalisation de la liberté et de la raison dans l'Histoire. C'est plus subtil que de dire que les plus beaux monuments sont faits par amour, ou autre truc dans le genre.</p><p style="text-align:justify;">Faites attentions à toutes ces formules, surtout si elles sont sorties de leur contexte. Ces formules sont plus souvent l'aboutissement de toute une réflexion préalable, de tout un raisonnement, et qui sont parfois le résultat d'un long travail de tâtonnement pour trouver la formule juste, celle qui sonne le mieux, la meilleure manière de dire une chose (comme chez Merleau-Ponty).</p><hr /><p style="text-align:justify;">Précision : oui, j'ai déjà lu cette critique de Descartes.</p><hr /&g